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CHAPITRE IV

DU FATALISME

Le fatalisme est une disposition à croire que tout ce qui arrivera dans le monde est écrit ou prédit, de façon que, quand nous le saurions, nos efforts ne feraient pas manquer la prédiction, mais au contraire, par détour imprévu, la réaliseraient. Cette doctrine est souvent présentée théologiquement, l’avenir ne pouvant pas être caché à un Dieu très clairvoyant ; il est vrai que cette belle conclusion enchaîne Dieu aussitôt ; sa puissance réclame contre sa prévoyance. Mais nous avons jugé ces jeux de paroles. Bien loin qu’ils fondent jamais quelque croyance, ils ne sont supportés que parce qu’ils mettent en arguments d’apparence ce qui est déjà l’objet d’une croyance ferme, et mieux fondée que sur des mots. Le fatalisme ne dérive pas de la théologie ; je dirais plutôt qu’il la fonde. Selon le naïf polythéisme, le destin est au-dessus des dieux.

La doctrine de la prédestination, si souvent mal comprise, approche mieux des sources de cette croyance si naturelle, si commune, si funeste. Car ils n’entendent pas, par la prédestination, que Dieu tendra des pièges au condamné qui s’efforce d’être juste, mais au contraire que, quelles que soient les occasions extérieures, les grâces, et même les miracles, le plus intime du caractère ne change jamais et empoisonne de son vice préféré même la pratique de la vertu. Par exemple celui qui est trompeur dans le fond se fera, au mieux, trompeur pour le bien de l’État, ou peut-être poète, honoré peut-être des hommes, toujours le même devant le juge. Cette rude doctrine trouve assez de preuves dans