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erreurs de jugement dans les choses, et les prennent pour des choses présentes et solides ? On peut voir ici l’exemple de la connaissance philosophique, définie plus haut en termes abstraits. Ainsi dès les premiers pas, nous apercevons très bien à quelle fin nous allons. Et cette remarque, en toute question, est propre à distinguer la recherche philosophique de toutes les vaines disputes qui voudraient prendre ce beau nom.

NOTE

Si vous pensez à ce chapitre, qui, selon mon goût, est un peu trop abstrait et rapide, vous vous direz que la discussion est ouverte. Car chacun résiste à cette idée que les choses sont pleines d’imaginations. Votre bon sens vous soufflera au contraire que les vraies choses sont celles qui n’ont rien d’imaginaire. Et soit. C’est encore une juste idée de la philosophie que celle d’une continuelle discussion avec soi-même et avec les autres et cette notion, elle aussi, conduit fort loin. D’un trait elle conduit à l’idée du semblable, qui est une des plus fécondes pour la réflexion à ses débuts. Le semblable, c’est celui qui peut comprendre et juger ; c’est donc par amitié et confiance que l’on trouve son semblable ; mais le plus beau c’est quand on arrive à ce merveilleux semblable, à soi-même. Car moi je suis pour moi comme un autre qu’il me semble que je connais bien. À bien regarder, toutes mes pensées sont comme un entretien avec ce semblable, avec moi. Oui, même les pensées faibles par lesquelles vous essayez d’ajourner le travail de réflexion et surtout le travail d’écrire. Tout de suite vous éprouvez que ce semblable qui est vous, n’est pas facile à tromper, qu’il flaire d’une lieue la paresse et le mensonge à soi. Vous voilà plongé dans la morale qui est toute dans cette rencontre de moi et de moi ; ce qui est agréable, c’est de retourner de ce semblable gênant à l’autre semblable, qui est plus humain, plus juste avec vous, en ce sens qu’il ne suppose pas toujours le mal (la paresse, la lâcheté, etc.). En somme vous commencez