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même continuellement, et, bien loin de se disposer d’après les impressions qui viennent du dehors, au contraire les modifie et les colore d’après ses propres dispositions. L’inquiétude serait le régime propre à ces natures toujours un peu empoisonnées, et qui vieillissent mal ; mais, dans la jeunesse, ce mélange de constance et d’agitation donne aux affections et aux signes humains une puissance démesurée, qui appelle et entretient l’amour. Au lieu que le nerveux n’est sensible qu’à ce qui est beau ou nouveau. Dans le bilieux habite ce riche amour de soi qui rend aimable, et qui fait la puissance de ce regard noir.

L’équilibre et le repos caractérisent le lymphatique, dont l’enfant, dans sa croissance, est le modèle parfait, et la mère aussi, tant qu’elle nourrit. C’est encore le système nutritif qui domine ici, mais par sa fonction principale, qui est de s’enrichir aux dépens du milieu extérieur. C’est pourquoi la croissance définit mieux le lymphatique que ne ferait la somnolence et l’obésité, qui ne sont que croissance continuée et maladive. De même l’atrabilaire est une image grossie du bilieux. Et, pour mieux concevoir le lymphatique, il serait bon peut-être de le considérer le premier. Car ce n’est point essentiellement mollesse ni paresse, c’est l’heureuse enfance, qui prépare tout et qui porte tout, qui se console et qui dort. La somnolence est le régime propre au lymphatique ; mais toute nature y redescend, s’y plonge, s’y nettoie et s’y renouvelle.

Tels sont les quatre visages qui se mêlent en toute humeur, de façon que dans ce mélange des quatre, quelque mélange de deux se montre, par la couleur, la forme, l’attitude et le mouvement. Mais du dehors toujours, et chez l’autre ; car de moi je connais mal l’humeur nue ; je n’y crois point. Mes pensées sur moi-même se tendent, se déroulent et font jouer leurs mirages entre mon humeur et moi. C’est au-dessous de moi-même, et d’après ce que je sais des autres, que je dois prendre ma propre humeur et ma propre nature, constante, résistante et maniable. Tant que je n’ai pas rejoint ces solides ressorts, je ne puis rien faire de moi. Défie-toi de ce qui consent.