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mais dès qu’on y met une colère pensée, avec souvenir et prévision, elle se développe selon cette loi que l’irritation excite au mouvement et que le mouvement aggrave l’irritation. Au contraire un autre mouvement qui exclut la toux, comme d’avaler, est directement efficace. Pareillement, contre l’anxiété, qui est une agitation qui s’entretient d’elle-même, ou si l’on veut une préparation sans fin, n’importe quelle action méthodique comme de fendre du bois ou de bêcher, ou même seulement de filer ou de coudre, est directement efficace. Et, contre la colère, copier et contre la tristesse, chanter. Mais cela, nul n’arrive jamais à le croire ; il faut le savoir. Les promesses du corps vont contre la doctrine, car tout régime de mouvement nous offre un soulagement immédiat qui redouble le malaise, comme de se retourner pour celui qui ne peut dormir. Bref notre pouvoir sur le corps est de gymnastique, j’entends de le mouvoir selon notre volonté, comme marcher, s’arrêter, s’asseoir, se coucher, dessiner, sculpter, danser.

Mais qu’est-ce que l’idée d’un régime de mouvement ? Deux caractères y sont à remarquer ; d’abord le régime s’entretient ; ensuite il s’irradie jusqu’à occuper tout le corps ; ce que la toux, exemple simple et familier à tous, fait comprendre assez, puisque d’abord la toux fait tousser, et qu’ensuite on arrive bientôt à tousser de tout le corps. Ce genre de supplice définit l’irritation ; et chacun sait ce que c’est que se gratter. L’emportement est un régime non moins tyrannique, qu’on pourrait définir une irritation diffuse ; on le saisit aisément dans un enfant oisif qui s’excite de ses propres mouvements ; et quelquefois un mouvement répété, comme de frapper par jeu sur la main d’un autre, va à l’emportement, ce qui a fait dire : « Jeux de mains, jeux de vilains. »