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et ce morceau ne me paraît pas meilleur que l’autre, car je n’ai du néant aucune espèce d’idée et je n’en pense rien ; comment pourrais-je en dire quelque chose ? Mais les mots permettent tout. On peut lire Hume pour s’assurer qu’un grand démolisseur est le plus utile des hommes si l’on veut bâtir proprement. J’y ai trouvé cette remarque d’importance que l’imagination peut lier toutes les images n’importe comment, ce qui écarte les petits systèmes du modèle anglais où la machine produit des chaînes de pensées à l’image de l’univers. Peut-être saisirez-vous bien, au sujet des causes, la position intermédiaire du philosophe si difficile à tenir, et qui rend la lecture de Kant si pénible au commencement. Car il faut pourtant bien que ce mécanisme des physiciens soit fondé de quelque façon. En sorte que notre théologien conclut bien, quoiqu’il raisonne mal. Tout état de choses dans l’expérience est un changement d’un état antérieur selon des lois ; mais cette liaison, sans laquelle il n’y aurait point d’expérience de la succession, n’est pourtant rien du tout hors de toute expérience ; la logique pure ou rhétorique ne peut rien pour l’établir.

Ces remarques ne sont pas inutiles à méditer si l’on veut surmonter l’argument célèbre de la cause première, si imposant qu’il faut avoir pris fortement position dans la logique stricte si l’on veut le repousser tout à fait. Voici l’argument. Un état de choses n’aurait pu exister si un autre état de choses ne l’avait précédé, et si un autre état n’avait précédé celui-là. Ainsi sans fin. Bon. Mais dès qu’un état de choses existe, toutes ses conditions d’existence, entendez bien toutes, sont données ou ont été données ; le compte en est fait, achevé, terminé par l’existence même de la chose. C’est donc dire oui et non à la fois que de dire que ces conditions sont un infini, ce qui veut dire un inachevé.