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fin ; s’il est sans fin, cela revient à dire qu’il n’y a pas de cause suffisante de cet état des choses maintenant. La nature ainsi va s’évanouir ; notre fonction est de la maintenir en acceptant les conditions nécessaires de cette existence. Comme je disais, il y a deux solutions : Dieu et une volonté, c’est-à-dire Dieu et l’âme, et Leibniz en sa Monadologie a brillamment prouvé qu’il n’y a que des âmes. Il faut penser attentivement à ces rêveries, surtout afin de ne pas prendre comme suffisantes les négations de ce que l’on nomme le matérialisme qui est, lui aussi, fondé en raison (le mécanisme est un être de raison). Et voilà une autre forme de notre antinomie ; car ces jeux dialectiques reviennent dans nos pensées ; ce sont des avertissements qui nous ramènent à l’expérience. Un esprit équilibré se meut entre l’expérience et la dialectique, avec le souci de faire tenir l’une avec l’autre.

CHAPITRE X

EXAMEN DE QUELQUES RAISONNEMENTS MÉTAPHYSIQUES

J’ai trouvé dans Hume, qui l’a pris de quelque théologien, un beau raisonnement sur les causes. Il s’agit de prouver que tout a une cause ; et voici comment raisonne le théologien. Supposons qu’un être existe, qui n’ait point de cause ; il viendrait donc du néant ; et le néant, qui n’est rien, ne peut rien produire. Mais, dit Hume, supposer qu’une chose qui n’aurait point de cause vient alors du néant, c’est justement supposer que tout ce qui arrive vient d’autre chose ; et c’est justement ce qui est en question. J’ajoute que, pour l’auditeur naïf, l’attention est détournée de ce passage par l’argument du néant qui ne peut rien produire ;