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nombres, on fit alors de grandes découvertes dans cet objet nouveau, par exemple que la somme de deux nombres est toujours un des nombres de la série. Ainsi considérée la proposition deux et deux font quatre est étonnante et neuve chaque fois qu’on la découvre ; car deux et deux pourraient bien faire un nombre qui ne serait pas dans la suite des nombres. Ce qui importe à comprendre, c’est que les découvertes dans ce genre furent faites par les comptables, qui alignaient les signes, comptaient les rangées, et inventaient les manières rapides de vérifier les comptes. J’ai pu voir et on verra sans doute encore un garçon de caisse peser les piles de pièces d’or au lieu de compter les pièces. La grande densité de l’or permet une telle vérification. La numération est un exemple de langue bien faite, et qui propose des grandeurs sans fin d’où des problèmes métaphysiques, par exemple y a-t-il un nombre infini ? Cela semble impliquer contradiction, car tout nombre compté est fini ; l’on peut l’augmenter et le diminuer et même l’épuiser par l’opération de retirer une pièce et puis une autre. La règle du sage est de ne jamais penser l’infini et le fini sans penser aux nombres et à la numération, hors desquels ces expressions n’ont plus de sens. La science des nombres forme comme le ciel des sciences, où s’élaborent les méthodes et les combinaisons. Tirer une droite, compter un nombre sont des méthodes de construction qui forment l’esprit.

CHAPITRE IX

DE LA VAINE DIALECTIQUE

La mathématique a toujours inspiré à l’esprit humain de grandes espérances. Puisqu’il était évident que l’on pouvait, par des raisonnements, devancer l’expérience, et même découvrir des rapports de nombre très certains, comme entre les grandeurs dites incommensurables,