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CHAPITRE VIII

DE L’ARITHMÉTIQUE ET DE L’ALGÈBRE

Pour les fins que l’on se propose ici, il n’est pas nécessaire de séparer ces deux sciences, ni d’en décrire l’étendue et les profondeurs. Il faut seulement les considérer comme sciences des choses encore, et rechercher toujours dans un objet bien perçu la source de ces combinaisons transformables dont les réponses sont souvent aussi étonnantes pour le calculateur lui-même que les merveilles de la nature. Réellement, il ne s’agit ici que d’expériences sur les nombres, expériences impossibles dans la perception commune.

Une multitude accable bientôt l’esprit, si elle n’est pas rangée ; et tout rangement est géométrique. Distribuer une boule de pain à chacun des hommes d’un bataillon, c’est déjà compter, mais machinalement. Vérifier en rangeant les hommes, et les boules de pain devant eux, c’est déjà penser le rapport d’égalité. Mais l’industrie la plus simple impose des groupements qui sont de meilleurs objets pour l’observateur. Le jardinage conduit à des distances selon une règle et à des alignements où l’entendement peut lire les lois des produits de deux facteurs. Les boîtes où l’on range d’autres boîtes et les piles de boulets conduisent plus loin. Il ne faut pas mépriser le boulier compteur et les jeux de cubes. L’entendement trouve ici le rapport de nombre à l’état de pureté, autant qu’il perçoit bien la chose. Par exemple concevoir qu’une arête de cube doublée entraîne huit fois le premier petit cube, c’est reconnaître l’équivalence numérique entre une suite de cubes alignés et un empilement formant lui-même