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L’idée de travail est encore une de ces idées simples, et qui a illuminé la mécanique moderne sans qu’on sache au juste quel est le Thalès observateur à qui elle s’est montrée dans sa pureté. Un seau d’eau est élevé d’un mètre, voilà un travail ; deux seaux d’eau sont élevés d’un mètre, voilà un travail double qui a à vaincre un poids double. Mais j’élève un seau d’eau de deux mètres ; voilà encore un travail double. D’où l’idée que, d’après cette unité de travail, un seau d’eau élevé d’un mètre, le travail pour dix seaux, élevés de quinze mètres, s’obtiendra en multipliant le poids ou la force par la longueur. Et si tous ces seaux retombent sans obstacle, leur choc au sol se mesurera par ce travail même, qui s’appellera alors force vive. Mais voici des applications bien plus étonnantes. En général lorsque l’on met un corps solide en mouvement, toutes ses parties vont du même train ; ce n’est que translation. Mais dès qu’un des points du corps est fixé, on peut obtenir une rotation, dans laquelle il est clair que toutes les parties ne font pas le même chemin dans le même temps. Ainsi sont les leviers et les roues. Les poulies montées en moufle donnent aussi un mouvement plus rapide de certaines parties ; et la presse hydraulique aussi. Décidant que ces arrangements, qu’on appelle machines, ne peuvent rendre d’autre travail que celui qu’on dépense à les mouvoir, on écrit dans tous les cas FL = F′L′ d’où il suit que les forces sont entre elles inversement comme les chemins parcourus. Ainsi je saisis d’un coup la puissance d’une grue à engrenages, ou hydraulique, sans regarder seulement comment le mouvement se communique. Mais j’avoue qu’une analyse dans chaque cas, des poulies, des engrenages qui sont leviers, ou des pressions, éclaire mieux l’esprit que cette opération presque machinale. Et cet exemple nous conduit à l’algèbre, étonnante machine à raisonner.