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raisonnements géométriques n’iraient pas loin, si quelque nouvelle donnée, en forme de proposition non ambiguë, ne leur était fournie. Et c’est toujours quelque figure nouvelle, obtenue par combinaison des anciennes et définie en même temps dans le langage, ce qui fait déjà assez voir que la géométrie ne se passe pas d’objets. Mais les auteurs reconnaissent encore des postulats ou demandes, sans lesquels on ne pourrait aller plus avant. Une suffisante étude de la perception permet de montrer que ces postulats sont des définitions encore. Il faut seulement bien distinguer les objets imaginaires, tracés sur le papier, des formes de l’esprit qui en sont comme le vrai, et desquelles traite le vrai géomètre. Ainsi la droite est définie au mieux par le mouvement d’un point constamment dirigé vers un autre ; la droite est ainsi la direction même ; mais les auteurs veulent que la plus courte distance, essentielle aussi à la droite, soit demandée ou postulée. Considérons pourtant ce que c’est que la direction ; c’est d’abord un rapport immédiat entre nous et une chose inaccessible : c’est une anticipation. Qu’il n’y en ait qu’une entre deux points, cela résulte de la définition même, si on ne se laisse point tromper par l’imagination ni par une grossière figure ; car, pour en distinguer deux, il faudrait avoir égard à deux points intermédiaires au moins, ce qui va contre la définition, puisque le rapport est entre deux points seulement. Deux droites qui passent par les deux mêmes points n’en font qu’une quant à l’idée ; il ne s’agit donc que de ne point confondre l’idée avec le tracé. Quand on ajoute que la droite est le plus court chemin d’un point à l’autre, peut-être s’exprime-t-on mal. Car il y a autant de chemins qu’on veut dans le monde ; mais, d’un point à un autre point, sans rien considérer d’autre, il n’y a qu’une distance, comme il n’y a qu’une droite. La droite entre deux points est