Page:Alain - Éléments de philosophie, 1941.djvu/167

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on peut tirer d’une ou plusieurs propositions une nouvelle manière de dire, sans considérer les objets, mais d’après les mots seulement. Ainsi de la proposition tout juste est heureux, on peut tirer que quelque heureux est juste, et non pas que tout heureux est juste. Mais de la négative aucun injuste n’est heureux, on peut tirer qu’aucun heureux n’est injuste.

Afin qu’on ne soit pas tenté de considérer ici les objets, ni d’engager avec soi quelque discussion sur le bonheur ou sur la justice, il est avantageux de représenter les termes par des lettres, ainsi qu’Aristote le faisait déjà. Ainsi de quelque A est B on tirera que quelque B est A, et de quelque A n’est pas B, on ne tirera rien du tout. On voit ici que l’on pourrait exposer ces conséquences par une espèce d’algèbre comme les logisticiens de nos jours l’ont essayé. Les principes ici rappelés sur des exemples simples pourront servir à juger ces immenses travaux, toujours trop estimés d’après la peine qu’on prend à les suivre.

L’opposition des propositions de mêmes termes donne encore lieu à des remarques simples, mais fort utiles en ce qu’elles nous font saisir le sens des mots tout, quelque, aucun ; c’est donc comme une grammaire générale en quelque sorte. S’il est posé que tout A est B est une proposition vraie, la proposition contraire aucun A n’est B est fausse ; mais si la première est fausse, la seconde peut être vraie ou fausse. Il n’en est pas de même pour les contradictoires tout A est B, et quelque A n’est pas B ; car de ce que l’une est vraie ou fausse, il faut tirer que l’autre est fausse ou vraie.

La conversation use encore de ces manières de dire, où il serait plus utile d’examiner la proposition même que le raisonnement de pure forme par lequel on en fait sortir une autre. Les propositions tirées de l’expérience se présentent plutôt sous la forme qu’on nomme