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loppe toujours dans la phrase rythmée la compensation après l’effort, soit pour les sons, soit pour les articulations, ce qui ramène au repos après un travail équilibré de l’appareil parleur ; et l’on se trouve ainsi protégé contre le discours errant, au lieu qu’une phrase mal faite en appelle une autre. C’est pourquoi l’entretien avec soi n’est soutenu comme il faut que par les fortes sentences de la poésie. C’est donc par de telles œuvres que l’enfant commence à penser ; il peut alors s’écouter lui-même, et reconnaître sa propre pensée dans l’œuvre humaine ; mais le premier effet est esthétique ; l’enfant est d’abord retenu ou saisi ; ensuite il se reconnaît. Et ces remarques rassurent aussitôt le maître quant au choix des œuvres ; car le principal est qu’elles soient belles et pleines de sens ; mais il n’est point dans l’ordre que l’enfant les comprenne avant de les retenir. Et certes, il peut y avoir à comprendre dans les improvisations d’un enfant ; mais le maître croit trop facilement que ce qui l’intéresse instruit l’enfant aussi ; au contraire dans ce qu’il dit, l’enfant se perd ; et c’est une raison décisive lorsqu’on se risque à provoquer des réponses libres, de les faire toujours écrire aussitôt, afin d’interroger de nouveau la réponse elle-même. Le langage commun appelle naturellement Pensées les formules que l’on retient et qui s’imposent à la mémoire, donnant ainsi un objet à la réflexion. Et quand je dis qu’un tel appui est nécessaire à l’enfant, Je n’entends pas que l’esprit le plus ferme et le plus mûr puisse s’en passer ; le défaut le plus commun est d’aller à la dérive, et de tomber d’une idée à l’autre selon les lois mécaniques de la chute. L’égarement est le vrai nom de cet état errant de l’esprit.

Auguste Comte a donc dit une grande chose, lorsqu’il a voulu appeler prière la méditation sur un poème ; car c’est interroger l’humain en ce qu’il a de plus éminent ;