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des contradictions, des réfutations, c’est là que l’esprit se connaît. Et ce sera même un grand travail pour le théologien de prouver que le Dieu-discours coïncide avec le Dieu-nature ; tel est le fond des preuves de Dieu. Il est vite fait de prouver l’esprit ; il est péniblement fait de prouver que ce même esprit habite la nature, ou, en d’autres mots, que les lois du discours sont des lois de la nature. Comprenez maintenant qu’en considérant le langage, nous entrons tout droit dans la philosophie. Beaucoup de philosophes n’imaginent pas que la vie de l’esprit soit séparable des discussions, objections et accords, et, pour tout dire, de quelques Conciles de la Philosophie. Tout notre commencement nous fait supposer au contraire que les problèmes du discours ne sont ni les premiers, ni les principaux de la réflexion. De là vient, en toute réflexion, l’extrême difficulté du commencement. On ne peut, d’entrée, raisonner ; il faut faire paraître les exemples, les faits, le monde, se perdre dans les illusions des sens et dans la structure de l’œil, se perdre aussi dans les sentiments de l’âme naturelle, et, en somme, faire parler des oracles et les écouter. Le temple ne s’ouvre pas tout de suite. La forme abstraite et divine ne paraît pas, sans quoi il y aurait autant de fidèles au collège que dans l’Église. On peut nommer philosophie concrète ou naturelle cette philosophie qui détache l’écorce du monde, à la manière des naturalistes. Les Grecs du temps de Platon attendaient les discours et d’être enlevés au-dessus de la terre et des dominations. Chose qui n’a point lieu dans l’Église ; car au contraire on y dit que Dieu est né et a grandi comme une chose de nature, et, plus incroyable encore, qu’il est mort. De là vient que le sourire de Platon et la joie athénienne se sont, ensemble, perdus. Cet avertissement a pour fin de vous faire prendre très au sérieux les syllogismes, les dilemmes, enfin ce