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INTRODUCTION

Qu’avons-nous cherché jusqu’ici ? On peut bien dire que c’est l’esprit que nous avons cherché. L’esprit s’est montré dans les choses mêmes, dans la perception même, là où nous ne l’attendions point ; il a fallu voir s’élever le Je Pense. C’est ainsi que l’esprit s’apparaît à lui-même, dans l’analyse philosophique, que Lagneau a nommée avec raison analyse réflexive. En effet c’est l’esprit qui se reconnaît lui-même, qui s’apparaît à lui-même. Toutefois, en ces apparitions, il reste quelque chose d’opaque. Il nous semble que nous sommes mus par Dieu, comme disaient autrefois les docteurs. Mais attention ! Ce Dieu est dans la nature, et reste pour lui-même un profond mystère.

Or il y a un autre aspect de Dieu, et c’est à présent qu’il faut le dire. L’esprit apparaît dans le discours, soit que le mathématicien développe sa subtile preuve, soit que l’avocat réfute promptement le raisonnement de l’adversaire, soit que le théologien, s’attaquant lui-même à lui-même, secoue cette clarté des arguments qui lui paraît suspecte ; soit que le philosophe pyrrhonien s’élance dans cette clarté de l’esprit à lui-même et demeure avec, seulement, un contenant vide et pur. Tous les débats sur l’esprit se font dans l’univers du discours ; et cela se montre dans les immortels Dialogues de Platon où l’on voit bien que les hommes s’éloignent du Dieu-nature et prient, au contraire, le Dieu-discours. C’est dans ce monde transparent, des thèses et antithèses,