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nable, mais qui ne s’accorde pas avec les retards du soleil et de la lune et les caprices des planètes. Et même les illusions sur le mouvement, comme on l’a vu, procèdent d’un jugement ferme, et d’une supposition que la nature n’a pas dictée ; nos erreurs sont toutes des pensées. La nature ne nous trompe pas ; elle ne dit rien ; elle n’est rien. Mais nous en pourrions mieux juger par nos rêves, qui ne sont que des perceptions moins attentives ; ce qui nous laisse un peu deviner comment s’exprimerait la nature non encore enchaînée. Tous les aspects seraient des choses, tous nos mouvements, des changements partout ; nos souvenirs, nos projets, nos craintes, autant d’êtres. Océan de fureurs et de larmes. Sans loi. Il ne faut donc pas demander si nous sommes sûrs que notre loi supposée est bien la loi des choses ; car c’est vouloir que la nature primitive ait un ordre en elle, qu’il y ait d’autres mouvements derrière les mouvements et d’autres objets derrière les objets. Non pas ; c’est plutôt le chaos, avant la création. Et à chaque éveil, oui, l’esprit flotte sur les eaux un petit moment. D’où l’on voit que l’entendement régit l’expérience, que la raison la devance et que, sous ces conditions seulement, l’expérience éclaire l’un et l’autre.

CHAPITRE XV

DES PRINCIPES

Un système des principes est toujours sujet à discussion ; car on peut dire les mêmes choses avec d’autres mots. Nous entrons ici, en anticipant de peu, dans la connaissance proprement discursive. Et les principes