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CHAPITRE XIV

DES LOIS NATURELLES

L’ordre de la nature s’entend en deux sens. D’abord en ce sens qu’il y a dans ce monde une certaine simplicité et un certain retour des mêmes choses ; par exemple, une soixantaine de corps simples seulement, et non pas un million ou deux. Aussi des solides, c’est-à-dire des corps que l’on retrouve en même forme et en même place le plus souvent. S’il n’y avait que des fluides, à quoi fixer notre mécanique ? Et s’il y avait des corps nouveaux toujours, le chimiste s’y perdrait. Cela c’est une bonne chance, dont on ne peut pas dire qu’elle durera toujours. On peut bien ici remonter jusqu’à Dieu par dialectique, et prononcer, par des raisonnements faciles et à portée de chacun, qu’un maître excellent de toutes choses n’a pas voulu que l’intelligence humaine fût sans objet, ni non plus sans épreuve. Ce genre de philosophie, que j’appelle transcendante, est aussi naturel à l’homme que le gazouiller aux oiseaux. Mais la force véritable de ces développements n’est point dans les preuves, cent fois démolies, cent fois restaurées, mais plutôt dans cette idée, d’abord, qu’il y a conformité, naturellement, entre les conditions extérieures et la vie elle-même, et enfin la pensée que nous y trouvons si étroitement jointe. Mais, en serrant l’idée de plus près, on y trouve que cette affirmation est toute de nous, et, pour tout dire, le premier et continuel ressort de la pensée. Espérance ou foi, et mieux encore volonté de penser tant qu’on pourra. Car si l’on s’arrêtait aux petites choses, et aux apparences du berceau, quelle variété sans fin et que