Page:Alain - Éléments de philosophie, 1941.djvu/132

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fin ? » on passe naturellement au Comment, c’est-à-dire à la recherche des causes et conditions. La plume de l’oiseau est faite pour voler, car les plumes juxtaposées font soupape en un sens, non en l’autre, et ainsi du reste. Et Claude Bernard n’avait pas tort de poser que le foie devait servir à quelque chose, pourvu qu’il recherchât à quoi, et surtout comment. Par où l’on voit qu’une idée théologique peut bien être bonne au moins comme directrice, sans dispenser jamais d’une perception reconstruite selon la géométrie et les formes. Si un homme se contente de dire que Dieu a fait l’aile pour le vol, il n’a rien dans l’esprit que des mots ; mais s’il sait comment l’aile est utile pour le vol, il connaît la chose par les causes, comme on dit ; et l’idée qu’il y ajoute d’un Dieu artisan n’altère en rien l’idée qu’il a de la chose. Darwin lui-même conserve de la cause finale ce qu’il faut lorsqu’il cherche en quoi un certain caractère, comme d’être aveugle pour un crabe dans une caverne obscure, peut donner avantage à celui-là sur les autres ; car il s’agit d’examiner comment cela lui serait nuisible d’avoir des yeux inutiles. Et c’est bien l’idée d’utilité qui, dans tel objet, rattache la fin à la cause ; car l’utilité posée, c’est la fin ; mais l’utilité expliquée, c’est la cause, ou la loi, ou l’objet même expliqué, comme on voudra dire.

Cela est bien sensible quand on étudie quelque mécanique que l’on ne connaît pas bien. On se demande, au sujet de chaque chose : à quoi cela sert-il ? Et, pour le découvrir, on fait jouer cette pièce lentement et autant que possible seule, afin de rechercher de quoi elle est cause, ou, pour mieux parler, à quoi elle est liée dans le système. Ainsi on passe aisément de l’idée directrice de fin à l’idée constitutive de cause ou de condition. Et il faut bien penser que l’idée de la fin poursuivie, toujours féconde si l’on ne s’arrête pas simplement