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taine température, une certaine tension de surface de petites bulles sont réunies, c’est l’ébullition même, et tant que l’ébullition n’est pas, la cause, je veux dire l’ensemble des causes suffisantes, n’est pas non plus. Ainsi, dans de tels exemples, le rapport de succession échappe. Et ce n’est que dans le langage commun qu’il est permis d’appeler cause la dernière circonstance, et sur laquelle souvent aussi nous avons pouvoir, comme ce petit cristal dans une solution sursaturée ; car il est clair que la solution est cause aussi bien. Pareillement l’on ne doit pas dire, à parler rigoureusement, que l’accélération d’un corps céleste à un moment est cause de son mouvement à l’instant suivant ; car les causes seraient ici les positions des autres astres à chaque instant, dont tout mouvement gravitant est fonction. Et, par cet exemple, on voit aussi que le rapport de cause à effet ne peut s’entendre que d’un état de l’univers à l’état suivant, ou de l’état d’un système clos à l’état suivant, autant qu’il y a des systèmes clos. Une chaîne réelle des causes ne peut donc être pensée que par une loi de devenir dirigée, entendez qui a un sens, de même que, dans la série des nombres, ce sont les premiers qui forment ou produisent les suivants, mais non pas inversement. Or une telle loi n’est apparue que tard aux physiciens, c’est celle d’après laquelle un système clos, de ressorts, d’explosifs, de corps chimiques plus ou moins actifs, change de lui-même vers un état d’équilibre mécanique, avec élévation de température. Ainsi un mur dressé, un canon chargé, un arc bandé, un stock de charbon, un réservoir de pétrole, une poudrière, un corps vivant, seraient des causes au sens strict. Mais le sens de ce mot s’étend toujours un peu, jusqu’aux circonstances maniables, et mêmes jusqu’aux conditions mécaniques d’un fait, dès qu’elles sont clairement expliquées. En ce sens on dit même