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Disons donc que ce n’est point parce qu’une idée est très générale qu’elle est universelle. L’idée sauvage de Mana, qui désigne une puissance invisible cachée dans tout visible, ou quelque chose comme cela, est aussi générale qu’une idée peut l’être ; mais la critique ne l’a pas encore reçue comme universelle ; entendez que nous n’apercevons pas de chemin assuré pour la comprendre. Mais l’idée de cercle, qui ne convient pas à tous les objets, convient au contraire à tous les esprits, entendez qu’il y a des chemins pour amener n’importe quel pensant à former cette idée correctement ; elle doit donc être dite universelle. Les techniciens considèrent le plus souvent les idées comme générales ; ce sont alors des formules d’action qui sont bonnes aussi pour ceux qui ne les comprennent pas ; par exemple une table de mortalité peut être utilisée par un homme qui ne serait nullement capable de l’établir ; une table de logarithmes, de même. Mais il est clair que les idées prises ainsi ne sont plus des idées à proprement parler. L’idée véritable, dans ces cas-là, c’est la théorie démontrable, et qui s’impose à tout esprit convenablement préparé ; ce n’est point parce qu’elle est générale qu’elle est idée, mais bien parce qu’elle est universelle. Quand il n’y aurait qu’un objet circulaire dans l’expérience humaine, le cercle et le nombre Pi n’en seraient pas moins des idées universelles. Et du reste il n’y a point d’objet circulaire, à parler rigoureusement. Le cercle est un moyen parmi d’autres, qui permet d’approcher des formes réelles et de les déterminer de mieux en mieux. Peut-être pourrait-on dire qu’aucune idée n’est réellement générale, sinon pour l’usage et la commodité, mais que toute idée est toujours pensée comme universelle. Et si la première partie de cette formule est livrée aux discussions, la seconde ne reçoit pas la discussion. Autant que je pense,