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hommes papa. » C’est en essayant les signes qu’il arrive aux idées ; et il est compris bien avant de comprendre ; c’est dire qu’il parle avant de penser.

Le premier sens d’un signe, remarquez-le, c’est l’effet qu’il produit sur d’autres. L’enfant connaît donc premièrement le texte humain par mémoire purement mécanique, et puis il en déchiffre le sens sur le visage de son semblable. Un signe est expliqué par un autre. Et l’autre, à son tour, reçoit son propre signe renvoyé par un visage humain ; chacun apprend donc de l’autre, et voilà une belle amitié. Quelle attention que celle de la mère, qui essaie de comprendre son petit, et de faire qu’il comprenne, et qui ainsi en instruisant s’instruit ! En toute assemblée, même rapport ; toute pensée est donc entre plusieurs, et objet d’échange. Apprendre à penser, c’est donc apprendre à s’accorder ; apprendre à bien penser, c’est s’accorder avec les hommes les plus éminents, par les meilleurs signes. Vérifier les signes, sans aucun doute, voilà la part des choses. Mais connaître d’abord les signes en leur sens humain, voilà l’ordre. Leçons de choses, toujours prématurées ; leçons de signes, lire, écrire, réciter, bien plus urgentes. Car, si ce ne sont point nos premières idées fausses que nous tirons peu à peu vers le vrai, nous pensons en vain. Comme il arrive pour les merveilles de la technique, tout l’esprit est dans la machine, et nous restons sots.

CHAPITRE V

DES IDÉES GÉNÉRALES

Je ne donnerais pas une minute à un problème qui n’intéresserait que les disputeurs. Mais il y a des hommes,