Page:Ainsworth - Abigail ou la Cour de la Reine Anne (1859).pdf/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
90
ABIGAÏL.

— Duchesse, dit la reine d’une voix émue, il faut…

— Avant que vous acheviez, madame, interrompit la duchesse, laissez-moi vous dire deux mots. Ne craignez rien, je ne m’abaisserai pas à me comparer aux personnes que j’ai trouvées près de vous. Elles n’ont à mes yeux d’autre importance que celle que Votre Majesté daigne leur accorder. Je ne vous rappellerai pas combien toutes les facultés de mon intelligence ont été constamment consacrées à votre service ; comment, depuis le jour de votre avénement, je n’ai eu qu’une pensées : votre gloire.

— Oui, sans oublier de temps à autre une arrièrepensée pour vos grandeurs personnelles, ajouta Harley avec ironie.

— Je ne vous rappellerai pas les services de mon illustre époux à Londres comme hors du royaume, sur les champs de bataille, poursuivit la duchesse, sans daigner remarquer le sarcasme du secrétaire royal. Je me bornerai à faire appel à l’amitié dont j’ai été honorée durant de longues ânnées et qui a rapport aux affaires domestiques et non à la politique. Les sentiments les plus intimes ont été échangés entre nous, madame. Nous avons partagé les joies et les afflictions. Nous avons l’une et l’autre pleuré ensemble la perte d’un fils chéri. L’amour avait aplani la distance. Mistress Freeman et mistress Morley étaient jadis bien chères l’une à l’autre.

— Oh ! oui, oui ! dit Anne avec émotion.

— Ce temps-là est-il donc oublié ? demanda la duchesse.

— C’est la faute de mistress Freeman si le souvenir en est passé, répliqua la reine, car c’est elle qui force son amie à cet oubli.

— Elle fera telle expiation que son amie désirera, dit la duchesse d’un ton repentant. Qui plus est, elle lui promettra de ne plus jamais l’offenser à l’avenir.

— Est-il possible ! s’écria Anne. Oh ! si cela était vrai !…

— N’en doutez pas ! répliqua la duchesse en se jetant aux genoux de la reine, qui la releva sur-le-champ et l’embrassa tendrement.

— Chère mistress Freeman ! s’écria Anne.

— Très-chère mistress Morley ! s’écria la duchesse.

— Voici un coup de théâtre qui a tout perdu, murmura Harley en lançant à Abigaïl un regard significatif, Madame,