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ABIGAÏL.

pour la part que j’ai été obligé d’y prendre, continua Harley, et, si j’ose la prolonger de quelques minutes, c’est qu’après les scandaleuses observations de la duchesse, je crois nécessaire de m’expliquer. Votre Majesté appréciera si en effet j’ai employé d’odieux moyens pour parvenir jusqu’à elle. Si je n’ai pu agir plus ouvertement, c’est que la duchesse vous ayant entourée de ses créatures, je n’aurais jamais pu réussir. À cette heure, la publicité de l’entrevue que Votre Majesté daignait m’accorder ce soir est un fait qui vous prouve à quel excès la duchesse pousse les ressources de son système d’espionnage.

Et maintenant, madame, avec votre gracieuse permission, je continuerai ce que je vous disais lorsque nous avons été interrompus. Vous avez vous-même exprimé le besoin de secouer le joug que votre facile bonté vous a imposé.

— Ceci ne saurait être vrai, madame, s’écria la duchesse ; dites-lui qu’il ment… démentez cet homme.

— Le silence de Sa Majesté répond suffisamment de ses intentions, reprit Harley. Votre Grâce ne voit-elle pas que par son indomptable orgueil, sa violence et sa rapacité, elle s’est aliéné l’affection d’une trop indulgente maîtresse ? Il a fallu pour vous maintenir où vous êtes l’inépuisable bonté dont vous avez abusé. Mais je vous dis en présence de la reine, et en son nom, que c’est sa volonté et son désir que vous vous retiriez.

— Ah ! s’écria la duchesse avec un rugissement de lionne.

— Monsieur Harley, vous allez trop loin ! dit la reine effrayée.

— Non, Majesté, répliqua Harley ; je prends tout sur moi. Je veux dire à cette femme si hautaine que son règne est fini, que vous êtes décidée à vous délivrer de l’esclavage dans lequel elle vous tient et à être enfin la grande reine que vous devriez être, et que vous êtes. Une minute de courage vous sauvera. Le premier pas est fait, la scène que vous redoutiez a eu lieu. Ordonnez-lui de sortir, de vous rendre ses charges, et alors vous serez réellement maîtresse de votre royaume ; ordonnez, madame !

— La reine ne prononcera jamais ce mot, monsieur ! dit la duchesse du ton de la plus grande arrogance.

— L’affranchissement de Votre Majesté ne tient plus qu’à un fil, murmura bien bas Abigaïl ; rappelez-vous tout ce que vous avez souffert.