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ABIGAÏL.

ment, monsieur Harley, et j’eutendrai avec plaisir ce que vous avez à me dire, répliqua Anne.

— Eh bien donc, madame, dit Harley, j’envisage votre présente situation avec une douleur inexprimable, Pardonnez-moi ma hardiesse ; mais, si je ne vous disais pas la vérité, il ne me servirait à rien d’avoir l’honneur de vous parler. Je le ferai donc à tous hasards. Une femme ambitieuse et violente, que vous avez daigné distinguer par vos préférences, a abusé de vos bontés, à ce point que vous n’êtes plus la seule souveraine de votre royaume.

— Voici en effet, monsieur, répondit Anne, un langage téméraire ; et, en disant ces mots, elle frappait de petits coups avec son éventail, ce qui était chez elle un geste de mécontentement.

— Je vois que j’offense la reine, poursuivit Harley ; mais je supplie Sa Majesté de m’entendre : rien de ce que je puis dire n’est trop fort, lorsque la duchesse de Marlborough proclame en tous lieux que vous ne pouvez rien faire sans elle.

— Serait-il vrai ? dit la reine, en frappant encore plus fort avec son éventail. Il est temps alors de lui imposer silence.

— Oh ! oui, madame, et le temps presse ! répliqua Harley ; il le faut pour vous-méme et pour le bien-être de la nation si cruellement opprimée par cette femme insatiable, qui, en dépit des faveurs sans nombre que Votre Majesté lui a prodiguées, se plaint d’être mesquinement récompensée.

— Je savais que la duchesse était ingrate, dit la reine indignée ; mais je ne croyais pas que ce fût à ce point.

— Mais ce dont moi et les sujets loyaux de Votre Majesté se plaignent principalement, poursuivit Harley, c’est que l’impérieuse duchesse, par ses menaces ou autrement, vous contraint à des actes que vous-même désapprouvez, et qui sont diamétralement opposés aux intérèts du pays. Pour ce motif, si ce n’est pour d’autres, je conjure Votre Majesté de la congédier.

— J’y songerai, monsieur, dit la reine indécise ; dans tous les cas, cette disgrâce ne peut être immédiate.

— Oh ! si ce n’est pas aujourd’hui que Votre Majesté renvoie la duchesse, ce ne sera jamais, s’écria vivement Harley. Excusez-moi, je vous en supplie, et n’attribuez mon importunité qu’à mon zèle. Si vous voulez être vraiment reine, il faut que la duchesse parte ; cette femme s’interpose entre vous et votre