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ABIGAÏL.

D’un caractère impérieux et ambitieux, douée d’une haute intelligence et des dons les plus rares, lorsqu’ils n’étaient point paralysés par ses passions, lady Marlborough, qui devint duchesse aussitôt après l’avénement d’Anne, le 8 mars 1702, prit la ferme résolution de ne négliger aucun moyen d’enrichir et d’élever son mari et sa famille. Ses projets furent admirablement secondés par sa royale mattresse, de qui elle obtint, outre des pensions considérables, les charges de premier gentilhomme de la chambre, de dame d’atour, d’intendant des pares royaux, et de trésorière particullère, tandis qu’elle augmentait son influence particulière en mariant sa fille ainée, lady Henriette Churchill, à lord Ryalton, fils ainé du comte de Godolphin, grand trésorier de la couronne ; sa seconde fille, lady Anne, au lord Sunderland ; la troisième, lady Elisabeth, au comte de Bridgewater, et la quatrième et derniere, lady Mary, au marquis de Mouthermer, créé plus tard, par son crédit, duc de Montagne. Dès lors les partisans des Marlborough et des Godolphin furent désignés par leurs adversaires par l’appellation de : la famille.

L’excessive bonté d’Anne pour la duchesse, et sa constante déférence à ses avis, firent supposer à cette dernière que pour obtenir il lui suffisait de demander, et qu’elle n’avait qu’à réfuter un argument pour convaincre la reine, ou tout au moins pour triompher. Pendant longtemps ce système fut couronné de succès ; la bienveillance naturelle de la souveraine l’engageait à céder, tandis que sa timidité lui faisait redouter les menaces. Mais la duchesse ne remportait ces victoires qu’au prix de l’estime de sa royale maîtresse ; déjà plusieurs altercations avaient éclaté entre elles, et chacun prévoyait (excepté toutefois la favorite elle-même) que son empire touchait à sa fin. Néanmoins, aveuglée par la confiance que lui inspirait l’autorité qu’elle avait acquise sur la reine, elle croyait sa position aussi assurée que celle de la souveraine, et défiait ses ennemis de la renverser.

Une alliance avait été conclue deux ans auparavant entre Marlborough, Godolphin et les whigs, dont le parti supportait seul maintenant le ministère ; et la reine, ayant été insultée par les tories lors de la motion faite au sujet de l’opportunité d’inviter la princesse Sophie à visiter l’Angleterre, s’abandonna aux whigs, malgré ses anciennes répugnancés, à l’époque de la