Page:Ainsworth - Abigail ou la Cour de la Reine Anne (1859).pdf/89

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
83
ABIGAÏL.

qu’un a le droit d’avoir peur, c’est moi, ajquta-t-il en rajustant devant un miroir son jabot de dentelle et sa perruque un peu dérangée par sa course.

— Votre visage ne montre pourtant pas beaucoup d’inquiétude, observa Abigaïl en riant.

— Il est vrai que je n’éprouve aucune appréhension, répliqua Harley ; ma seule pensée en ce moment est un sentiment de reconnaissance envers vous.

— Un ministre, dit-on, ne se souvient jamais des services qu’on lui rend, reprit Abigaïl.

— Ceci peut être exact pour quelques autres de mes collègues, mais non pour moi, au moins quant à ce qui vous regarde, répondit Harley. Mais puis-je vous demander, ma gracieuse cousine, si vos intentions sont toujours les mêmes, relativement au jeune Masham ?

— Je ne sais, fit négligemment Abigaïl, L’avez-vous vu aujourd’hui ?

— Non, dit Harley ; mais j’ai rencontré la marquis de Guiscard.

— Quel odieux coquin ! remarqua Abigaïl.

— Ainsi donc, vous ne l’aimez pas ? s’écria Harley en feignant le plus grand étonnement.

— Moi ! l’aimer ! mais je ne puis le souffrir ! riposta Abigaïl d’une voix brève.

— Bon ! Et pourtant il est persuadé du contraire, dit Harley.

— Vous connaissez les motifs qui m’ont fait agir, répliqua Abigaïl. J’étais fâchée contre Masham, et j’ai voulu le piquer au vif.

— Vous avez si bien réussi, que je crains que vous ne l’ayez éloigné de vous à tout jamais, dit Harley.

— Oh ! quelle idée ! mon cousin, fit Abigaïl. Lui, me délaisser ! Il reviendra demain à mes pieds.

— Êtes-vous bien sûre de votre fait ? reprit Harley. Allons ! je crois deviner que vous avez eu de ses nouvelles.

— Mon Dieu, non ! Il ne m’a pas écrit une ligne, répliqua-t-elle. Mais écoutez-moi, mon cousin, il faut bien nous comprendre. Jusqu’à présent je n’ai fait aucun pacte avec vous ; c’est grâce à moi que vous allez voir la reine ; mais si vous désirez que cette entrevue se renouvelle, il faut que vous secondiez mes projets sur Masham. J’ai dit que je comptais l’avoir à mes pieds demain ; c’est à vous de l’y amener.