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ABIGAÏL.

cultivés avec un égal succès ; la réunion de l’Angleterre à l’Écosse venait de s’effectuer, l’orgueil de la France se voyait humilié, et la prépondérance du cabinet de Saint-James était solidement établie en Europe. Enfin, la succession au trône de la branche royale professant la religion protestante étant définitivement assurée, rien ne paraissait devoir manquer au bonheur et à la grandeur de la reine Anne.

Et cependant, au milieu de tout cet éclat, le cœur de la souveraine souffrait cruellement ; son pouvoir était insuffisant pour l’accomplissement de ses désirs les plus chers ; l’indolence en matière politique de son royal époux, le prince Georges de Danemark, qu’elle adorait, et son incapacité à remplir dignement les hautes charges qui lui avaient été conférées, incapacité qui lui attirait souvent le blâme et les railleries de l’opposition, étaient pour elle une source éternelle d’amertume. La perte de toute sa lignée, et surtout celle du duc de Glocester, mort à l’âge de onze ans, l’avait accablée de douleur, et, dans les accès de mélancolie auxquels elle était sujette, elle considérait son abandon désolé comme une juste punition du ciel pour sa conduite envers son père, ce malheureux Jacques II, le roi exilé. La situation de son frère, celui qui s’intitulait le chevalier de Saint-Georges, la tourmentait aussi ; elle éprouvait de vifs scrupules à son sujet, et s’accusait d’usurper un trône qui appartenait à ce frère par droit de naissance. Plus encore, une désunion secrète régnait dans son conseil, tandis que le chef de l’armée se remuait avec tant de violence, que la reine elle même était souvent attaquée pendant les débats des deux partis.

Les tracasseries intérieures suscitées à la reine par la duchesse de Marlborough n’étaient pas son moindre ennui. Son amitié pour cette illustre dame était d’ancienne date, et avait été consolidée, par le zèle et le dévouement déployés par la duchesse pendant les discussions qui s’élevèrent entre Anne, alors princesse de Danemark, et sa sœur, la reine Marie. L’attachement de la princesse pour sa favorite était si complet, qu’afin de bannir toute étiquette et d’établir une espèce d’égalité entre son amie et elle, elle avait daigné, pour leurs rapports privés et leur correspondance, adopter le nom de mistress Morley, et permettre à lady Marlborough de prendre celui de mistress Freeman.