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ABIGAÏL.

Comme la plupart des valets à la mode de ce temps, M. Bimbelot se faisait la copie de son maître ; aussi était-il, à son exemple, débauché, joueur, libertin, et se mêlait d’intriguer même en politique. Le drôle écrivaillait quelques rimes amoureuses des plus exécrables, qui offensaient à la fois la versification et la syntaxe, et contenaient, comme son langage usuel, un mélange le plus bizarre d’anglais et de français. Maître Bimbelot faisait le bel esprit, persiflait ses camarades de livrée, et propageait tous les scandales de la cour de SaintJames.

Il s’habillait bien, c’est-à-dire qu’il portait les vêtements abandonnés par son maître. Il se servait d’excellents parfums, prisait du tabac d’Espagne, couvrait son visage de mouches, jouait à l’hombre et au piquet, et fréquentait les galeries des théâtres.

Bimbelot était de taille exiguë, mais il avait une jolie tournure, dont il était prodigieusement vaniteux. Son visage ressemblait assez à celui d’un singe, car il était séparé en deux par une bouche énorme, supportée par des mâchoires avancées : un nez épaté se développait au milieu, et un teint couleur de brique brillait sur sa peau rugueuse. Il arrivait souvent au valet du marquis, en mettant sa cravate devant le miroir, ou en appliquant ses mouches, de se regarder avec complaisance, en se disant à lui-même : « Je ne suis pas beau, c’est vrai ; mais je suis diantrement gentil ! »

Le sergent Scales était trop occupé à déguster ce qui était sous sa main pour pouvoir causer avec son hôte. Mais il écoutait à merveille, et M. Bimbelot babillait, sans cesser un instant, du théâtre, des cafés, des tavernes et du jeu. Il parlait avec la plus grande familiarité des actrices et des marchandes d’oranges, aussi bien que des femmes les plus élégantes et les plus haut placées. Son éloquence se développait surtout lorsqu’il s’agissait des théâtres. Il critiquait Mmes Braugirdle et Oldfield, ces deux célébrités rivales, et donnait la préférence à la première, quoiqu’il avouât qu’elle était un peu passée. Il censurait de même Mmes Barry, Betterton, Booth, Wieks, Cibber, Verbruggen, et autres brillantes étoiles de cette époque.

« Vous avez sans doute vu Mme Braugirdle à Haymarket, sergent ? dit-il. Non ? Alors je vous conseille d’aller l’entendre sans délai. Sur mon honneur, elle est charmante,