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ABIGAÏL.

au-devant de nous pour reconnaître, et de ce tertre (en disant ce mot Scales montra une place sur le plan), près de Wolperstetten, ils découvrirent tout le camp ennemi. Après une courte délibération, le duc dressa son plan de bataille. Puis, le brouillard s’étant précisément dissipé dans ce même instant, nous fûmes découverts. On donna l’alarme à l’instant, et Tallard, de concert avec l’électeur de Bavière, se prépara à soutenir le choc. Je ne vous raconterai pas en détail toutes les dispositions qui furent prises de part et d’autre, car cela ne vous intéresserait pas, et, qui plus est, vous n’y comprendriez rien. Les deux généraux avaient décidé que les deux ailes chargeraient en même temps, et, tandis que le prince Eugène s’éloignait pour aller prendre position, le duc, en attendant le signal, ordonna que le service divin fût célébré dans chaque régiment. Une fois ce devoir accompli, il établit une ambulance pour les blessés, donna ses instructions aux chirurgiens, après quoi il monta à cheval, et, passant dans les rangs, il parut satisfait de nous trouver tous avides de commencer le jeu.

« Vous n’attendrez pas longtemps, mes gars » nous dit-il.

À peine avait-il prononcé ces paroles, qu’un boulet lancé d’une des batteries vint raser la terre à côté de lui et le couvrit de poussière des pieds à la tête. Nous crûmes tous qu’il avait été touché, et nous poussâmes un cri unanime ; mais le duc secoua la poussière qui le couvrait, leva son chapeau en l’air, et partit au galop comme si rien ne lui était arrivé.

« C’est bien certainement ce que j’aurais fait à sa place, dit Proddvy en se rengorgeant ; mais je vous prie, sergent, dites-moi à qui ce sabre a appartenu ? Et il montrait l’arme brisée.

— Ce sabre, camarade, appartenait à un brave, à un vrai brave, répliqua Scales ; au général Rowe, ni plus ni moins, qui fut tué pendant la mémorable journée dont je viens de vous parler. J’étais à ses côtés lorsqu’il tomba. La brigade qu’il commandait devait traverser le Nebel, cette petite rivière que vous voyez ici (Scales en désigna la place sur le plan), et le feu de peloton fut si bien nourri, que les eaux limpides de ce courant furent teintes de sang. Il nous fut impossible de riposter par un seul coup de feu. En prenant pied sur la rive opposée, le général Rowe tira son sabre, et sous le canon des fusils ennemis, tandis que les balles sifflaient à ses oreilles aussi dru qu’une