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ABIGAÏL.

— N’importe, camarade, répondit Scales en souriant ; ce n’est pas par hasard que la carte de Flandre se trouve à terre, ce n’est pas non plus par inadvertance que la botte du duc de Marlborough est posée dessus.

— Bon, je devine ! s’écria Proddy ; vous prétendez indiquer que le duc a mis le pied en Flandre, n’est-ce pas ?

— Précisément, répliqua le sergent, vous avez frappé aussi juste que moi, lorsqu’à la bataille de Schellenberg je visai le troupier bavarois au moment où le misérable ajustait son pistolet pour tirer à la tête du duc. Cette botte couvre positivement Bruges, Gand, Anvers, Oudenarde, Mecklin et Bruxelles, lesquelles villes ont été dernièrement conquises par Sa Grâce. Je ne fais jamais rien sans intention, camarade. Regardez ces éperons, ajouta-t-il en suspendant le frottement de ses brosses pour désigner les objets dont il parlait : vous pourriez croire que c’est par accident qu’ils sont appuyés contre les portraits de ces deux généraux français ; eh bien ! ce serait une erreur. Devinez-vous le motif qui m’a inspiré ?

— Je suppose, répliqua Proddy, que c’est afin de témoigner avec quelle persistance le duc les a aiguillonnés.

— Très-bien ! à merveille, répondit le sergent. Vous interprétez très-exactement ma pensée, camarade ; c’est un plaisir de causer avec un homme aussi intelligent que vous l’êtes. Ces deux étranges figures appartiennent à des gaillards qui nous ont donné du fil à retordre. Ils sont braves tous les deux, car il ne faut pas déprécier ses ennemis ; mais, à vrai dire, le plus brave des deux et le plus habile général est le vieux Tallerd. C’est à la bataille de Blenheim qu’on s’est bien battu. Je n’oublierai jamais ce jour de fête-là ! Je n’ai pas besoin de vous dire que c’était le 13 août 1704. Hélas ! j’ai laissé sur ce sanglant champ de bataille plusieurs amis, de braves et joyeux compagnons. Le duc lui-même l’échappa belle, comme je vais vous l’apprendre tout à l’heure. Vers les deux heures du matin, notre camp, placé entre Erlingshofen et Kessel-Ostheim, fut levé par les ordres du duc, et les troupes se mirent en mouvement. L’aile droite de l’armée était commandée par le prince Eugène, et la gauche par le duc de Marlborough. Nous marchâmes en silence et, comme le jour était sombre, l’ennemi ne s’aperçut pas de notre venue. Au moment où nous approchions, les deux généraux, suivis d’une escorte nombreuse, galopèrent