Page:Ainsworth - Abigail ou la Cour de la Reine Anne (1859).pdf/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
37
ABIGAÏL.

bonheur d’Abigaïl en dépendit, répliqua la reine. Mais ici, il ne me paraît pas que ce soit le cas ; je m’imagine, au contraire, qu’une défense de moi lui plairait bien davantage.

— Votre Majesté a bien raison, s’écria Abigaïl ; et alors même que vos ordres voudraient me contraindre à épouser le marquis de Guiscard, je crois que je pourrais difficilement me décider à obéir.

— Votre dévouement ne sera pas mis à une épreuve si cruelle, ajouta la reine en souriant.

— Mais cependant le marquis ne doit pas être repoussé avec tant de précipitation, répliqua la duchesse. Vous avez été fort impolie envers lui ce matin, Abigaïl, et sa courtoisie méritait d’être mieux accueillie.

— Un rôle qu’on a créé soi-même est facile à jouer, dit Abigaïl. Que Votre Grâce sache que le cocher de lady Rivers a avoué qu’il s’était laissé séduire par le marquis, et n’avait agi que d’après ses instructions.

— Oh ! c’est un imposteur ! s’écria impétueusement la duchesse. Le fait d’ailleurs peut s’éclaircir à l’instant ; le marquis est là. La reine lui permet-elle de paraître devant elle ?

— Mon Dieu… oui, répliqua la reine avec une répugnance visible, si Votre Grâce le veut absolument…

— Oui, je le veux ! » reprit la duchesse ; et entrant sur-le-champ dans la salle de danse, elle revint presque aussitôt, suivie de Guiscard.

Malgré toute son effronterie, le marquis parut confondu ; il jeta un regard inquiet sur la reine, puis sur Abigaïl, et se prit à trembler sous le regard fixe et méprisant dont cette dernière l’accabla.

« Ma cousine Abigaïl déclare que vous aviez corrompu le cocher de lady Rivers, dans le but de faire naître le tumulte qui a eu lieu ce matin. Cela est-il vrai ? demanda la duchesse au nouveau venu.

— Je dois être franc, répliqua Guiscard d’un air candide, cela est vrai ; le sentiment qui m’a guidé, je le confesserai avec la même franchise, c’est ma vive passion pour miss Abigaïl. Je me flattais, à l’aide de ce stratagème, de faire sur son esprit une impression favorable. L’insuccès de mon entreprise est une punition suffisante pour ma témérité. »