Page:Ainsworth - Abigail ou la Cour de la Reine Anne (1859).pdf/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
35
ABIGAÏL.

terre le devoir de se souvenir éternellement de son nom avec gratitude. À l’époque où nous sommes arrivés, elle entrait dans sa quarante-troisième année,

Non loin de la reine, son époux, le prince Georges de Danemark, jouait au piquet avec M. Harley. Une simple esquisse suffira pour faire connaître ce prince : d’une santé robuste, ayant de grands traits assez beaux et l’air ouvert, il paraissait préférer le jeu et les plaisirs de la table aux soins et aux angoisses de la royauté. À part son indolence et son apathie politique, ce prince avait d’excellentes qualités, car on citait son humanité, sa justice, son affabilité, et il avait sincèrement à cœur la prospérité du royaume. Il donnait rarement des conseils à la reine, et s’interposait fort peu entre elle et ses ministres ; mais lorsqu’il le faisait, ses avis étaient toujours pris en considération. Son caractère inspirait plus d’estime que de respect. Anne le chérissait pour les qualités de son cœur, mais elle prisait peu son intelligence.

Le mari de la reine était vêtu de velours noir : on voyait briller une étoile de diamants sur sa poitrine, et il portait le cordon bleu de l’ordre de la Jarretière.

Là duchesse d’Ormond, lady Portmore et lady Rivers étaient de service près de la reine, et quelques pas en avant de ces dames, et tout près de Sa Majesté, se tenait Abigaïl Hill, avec laquelle Anne causait.

Les chanteurs de l’Opéra italien venaient de donner un concert dont la reine s’était fort divertie ; il était terminé, et Anne parlait encore du plaisir qu’il lui avait causé, quand la duchesse de Marlborougb parut dans le grand salon.

« Ah ! vous voici enfin ? lui dit Anne ; je craignais de ne pas voir Votre Grâce ce soir.

— Votre Majesté sait que je n’aime pas la musique, répondit la duchesse ; aussi ai-je retardé mon arrivée jusqu’à la fin du concert, qui, j’en étais sûre, devait avoir lieu à dix heures.

— Mieux vaut certainement arriver tard que jamais, reprit Anne ; mais j’ai regretté votre absence, et j’ai compris qu’il manquait quelqu’un près de moi.

— Votre Majesté est bien bonne, répondit la duchesse avec ironie, et je crains qu’elle ne soit en ce moment bienveillante aux dépens de sa sincérité. J’ai peine à croire que vous vous soyez aperçue de mon absence, lorsque je vous trouve en