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ABIGAÏL.

Et, ce disant, il se hâta de sortir. « Alors tout est perdu ! » dit Bolingbroke en se frappant le front.

Lorsqu’il leva les yeux, il s’aperçut que Harley observait l’émotion qu’il éprouvait et laissait percer une satisfaction infernale.

Lady Masham s’empressait de servir avec zèle sa royale maîtresse ; mais l’état de celle-ci empirait de minute en minute.

Anne continuait toujours de demander avec insistance le duc de Shrewsbury.

« Votre Majesté a-t-elle des ordres à donner à lord Bolingbroke ? demanda lady Masham.

— Aucun, » dit la reine avec fermeté. En ce moment sir Richard Blackmon revint, suivi du duc de Sbrewsbury, du lord chancelier et de quelques autres serviteurs.

« Ah ! vous voici enfin, milords, s’écria Anne comme soulagée d’une grande inquiétude ; je craignais que vous n’arrivassiez trop tard. Sir Richard vous aura parlé du danger où je suis… Bien ! bien ! il est inulile de vouloir me le cacher ; je sais que ma fin est proche. Milords, la charge de trésorier est vacante, et, si je mourais, la sûreté du royaume pourrait être compromise.

Milord de Sbrewsbury, vous êtes déjà grand chambellan et lord lieutenant d’Irlande ; j’ai encore un poste d’honneur à vous confier : prenez ces clefs, ajoutat-elle en lui donnant les insignes de trésorier qui étaient sur la table, et gardez-les pour le bonheur de mon peuple. »

Au moment où le duc mettait un genou en terre pour baiser la main de la reine, il la sentit se refroidir sous ses doigts ; Anne venait de s’évanouir, et elle fut à l’instant emportée par ses serviteurs.

« Si les craintes de la reine se réalisent, s’écria Oxford, le règne de lady Masham est fini ; quant à vous, Bolingbroke, le seul choix qui vous reste sera celui de la fuite ou de l’échafaud.

— Si je fuis, vous ferez bien de fuir avec moi, dit Bolingbroke.

— Non, je resterai et j’attendrai, répondit Oxford, car je n’ai rien à craindre.