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ABIGAÏL.

assez tentantes pour l’empêcher d’en voir les dangers. Il ne se faisait point illusion sur l’orage terrible qui se préparait ; mais il pensait que, s’il lui était une fois possible de saisir les rênes du gouvernement, il manœuvrerait le vaisseau de l’État et le ferait entrer dans le port désiré.

L’occasion parut être propice à Oxford ; le mardi 27 juillet 1714, il venait de recevoir un ordre inattendu et péremptoire de la part de la reine, qui lui enjoignait d’avoir à lui remettre les clefs de la trésorerie sans une minute de retard. Malgré l’heure avancée de la soirée, le ministre se rendit sur-le-champ au palais.

Introduit en présence de la reine, Oxford trouva près d’elle lady Masham et Bolingbroke, dont les regards triomphants augmentèrent sa rage et sa mortification. Anne avait mauvais visage et paraissait souffrir ; elle relevait à peine d’une violente maladie causée par une inflammation accompagnée de goutte et de fièvre, et elle ressentait encore de dangereux symptômes.

Sa figure était élargie et les chairs de ses joues ramollies. On devinait, à voir ses paupières alourdies, ses yeux ternes et injectés de sang, son teint cadavéreux et ses traits boursouflés, qu’elle souffrait physiquement ; Anne fit une faible tentative pour conserver un maintien digne, mais la maladie l’empêcha de réussir au gré de ses désirs.

Sur la table placée près d’elle, on apercevait une tasse contenant une potion que lui avait ordonnée son médecin, sir Richard Blackmon, et elle buvait de temps à autre une gorgée de ce breuvage édulcorant.

Oxford, sans se montrer touché de l’état maladif de la reine et sans éprouver la moindre sensation de reconnaissance et de respect, s’avança résolûment et lança à ses adversaires un regard de défi.

« Votre Majesté m’a ordonné de lui rapporter mes clefs, dit-il d’un ton insolent, en inclinant légèrement la tête ; les voici. »

Et en parlant ainsi il posa violemment deux clefs d’or sur la table.

« Milord ! s’écria Anne, vous me manquez de respect.

— Lord Oxford jette le masque, observa Bolingbroke ; Votre Majesté le voit aujourd’hui sous son véritable aspect.