Page:Ainsworth - Abigail ou la Cour de la Reine Anne (1859).pdf/376

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
370
ABIGAÏL.

subi une modification. Saint-John paraissait déconcerté, et Oxford même déguisait mal ses appréhensions. Le parti tory était divisé, et cette circonstance, qui était connue du public, encourageait les whigs. Le trésorier fit donc de nouvelles avances au duc, qui les repoussa comme la première fois.

Oxford, voyant que son salut dépendait des plus vigoureuses mesures, redoubla de zèle, et ses artificieuses représentations effrayèrent la reine et l’empêchèrent de rappeler les wighs.

Il persuada à Sa Majesté que, s’ils rentraient aux affaires, elle serait nécessairement obligée de réinstaller la duchesse de Marlborough, et de se soumettre à la tyrannique domination de cette femme, dont la disgrâce avait aigri le caractère. Ce dernier argument prévalut.

L’orage était passé, et l’on résolut de ne plus retarder la disgrâce de Marlborough ; les commissaires du gouvernement reçurent l’ordre d’examiner les comptes du fournisseur de pain, Medina, et de présenter leur rapport à la Chambre. Le duc, pour répondre à cette accusation, publia la lettre que nous avons citée et qui le disculpait entièrement ; et pourtant, sans attendre le résultat des investigations, la reine, sur les instances d’Oxford, destitua le duc de toutes les places qu’il remplissait.

C’est ainsi que le plus grand général que l’Angleterre eût jamais possédé fut déshonoré, dégradé, sans égard et sans équité. Sa disgrâce causa en France la plus vive satisfaction. Louis XIV, en l’apprenant, ne put coutenir la joie qu’il éprouvait.

« La chute de Marlborough va combler nos désirs ! s’écria-t-il.

— Ce que nous avons perdu en Flandre, nous allons le regagner en Angleterre, » ajouta le ministre de Torcy.

Frédéric le Grand, roi de Prusse, outré d’indignation, s’écria : « Eh quoi ! Blenheim, Ramillies, Oudenarde et Malplaquet n’ont pu défendre le nom de ce grand homme ? et la victoire elle-même n’a pu le protéger contre l’envie et la délation ? Quel rôle eût joué l’Angleterre sans ce héros ? Marlborough a soutenu et élevé son pays ; il l’aurait porté au pinacle de la grandeur sans ces misérables intrigues de femmes, dont la France a profilé pour consommer sa disgrâce. Louis XIV était perdu, si Marlborough était resté deux ans de plus au pouvoir. »

Tels furent les sentiments de plusieurs potentats en Europe.