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ABIGAÏL.

— Vous êtes une femme sans pareille ! s’écria le duc transporté d’admiration.

— Je suis digne d’être unie au duc de Marlborough, répliqua-t-elle fièrement ; et milord peut sans crainte remettre entre mes mains son honneur et ses intérêts : j’aurai soin de l’un et des autres.

— Je n’en doute pas, madame, fit le duc avec émotion, en portant sa main à ses lèvres. Je n’en ai jamais douté, et cependant je regrette que vous ayez placé Abigaïl Hill près de la Reine.

— Voici le motif qui m’a portée à le faire, répliqua la duchesse. J’étais fatiguée à mourir de mon service assidu auprès de la reine ; et, pour être franche, depuis que vous avez été élevé à la dignité de prince du royaume, je trouvais ces devoirs audessous de mon rang. Je songeai donc à Abigaïl comme à la personne la plus convenable et la plus sûre qui pût me remplacer. Je m’aperçois maintenant qu’il est impossible d’avoir fait un plus mauvais choix. La donzelle a commencé à se comporter envers moi avec une insolence qui dit assez combien elle se sent assurés de la protection de la reine. Ajoutez à cela que j’ai découvert qu’il existe un parfait accord entre elle et son parent M. Harley.

— Godolphin et moi, nous nous méfions de Harley depuis quelque temps, reprit le duc, et j’ai tout mis en œuvre pour l’expulser du ministère ; mais la reine s’y est opposée avec une ténacité dont jusqu’à présent je n’avais pu me rendre compte.

— Il fut un temps où Votre Grâce avait de lui la plus haute opinion ; ajouta la duchesse. Quant à moi, je vous ai sans cesse mis en garde contre cet hypocrite à la langue dorée, qui ne songe qu’à son avancement. Et maintenant, êtes vous convaincu ?

— De la manière la plus déplaisante, fit le duc ; mais qui vous fait supposer que Harley soit en rapport avec Abigaïl ?

— À la réception de ce matin, j’ai intercepté un billet qu’elle lui adressait, dit la duchesse. — Est-ce une lettre d’amour ? demanda Marlborough..

— Non ; quelques mots au crayon, tracés à la hâte. Elle le priait de se trouver demain, à onze heures du soir, à la grille du jardin du palais.

— Ceci ressemble fort à un rendez-vous ! s’écria le duc.