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ABIGAÏL.

fer, s’écria Marlborough, et l’irritation que j’éprouve pour mon compte me fait parfaitement comprendre celle de la reine.

— Comme je n’ai pas la moindre envie de me quereller avec Votre Grâce, je vais la quitter jusqu’à ce qu’elle soit calmée, reprit la duchesse en se levant et en se dirigeant vers la porte.

— Vous ne sortirez pas ! s’écria le duc en lui saisissant la main. J’ai été trop vif, j’ai eu tort. Par le ciel ! je ne m’étonne pas que vous gouverniez Anne si entièrement, puisque moi je n’ai pas d’autre volonté que celle que vous m’imposes.

— Et moi pas d’autre loi que la vôtre, milord, répondit la duchosse en souriant ; vous le savez, et voilà pourquoi vous me cédez quelquefois, comme fait aussi Sa Majesté.

— Si celle vous aime aussi tendrement que je le fais, Sarah, continua tendrement Marlborough, vous n’avez rien à craindre ; ma passion pour vous est de l’idolâtrie, et vous feriez de moi tout ce qu’il vous plairait, si votre amour était le prix de ma soumission. Les lettres que vous avez reçues de moi, écrites au miliuu de la précipitation et des fatigues de marches forcées, dans le conflit des discussions, à la veille d’une bataille, ou enfin dans l’effervescence d’un triomphe, peuvent vous prouver que toujours vous êtes ma pensée dominante, mais elles ne vous peignent pas la profondeur de mes sentiments. Oh Sarah ! quelque brillante qu’ait été ma carrière, quelques efforts qu’il soit encore de mon devoir de faire pour servir mon pays et ma souveraine, je préférerais à toutes choses me retirer avec vous dans une retraite ignorée, pour y passer ensemble le reste de nos jours loin des factions et de la politique.

— Une pareille existence ne saurait satisfaire Votre Grâce, pas plus qu’elle ne me conviendrait, ajouta la duchesse. Nous avons été créés pour les grandeurs ; la douce retraite dont vous parlez serait une prison où vous seriez tourmenté par mille visions de conquêtes à accomplir et de lauriers à cueillir ; tandis que de mon côté je pleurerais ma puissance perdue. Non, non, milord ; il nous manque encore bien des choses qu’il faut gagner avant de nous retirer. Il sera temps de quitter la place lorsque nous n’aurons plus rien à acquérir. Quand j’aurai fait de vous le grand seigneur le plus riche de l’Europe, comme vous en êtes le plus illustre, alors je serai satisfaite ; mais il faut attendre jusque-là.