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ABIGAÏL.

malgré le feu nourri de la garnison et celui des redoutes ennemies, la ligne de circonvallation fut continuée jusqu’à l’inondation du Sauzet.

— Arrivez au fait, sergent, interrompit Proddy, vos circonvallations et vos inondations m’embrouillent.

— Eh bien ! pour abréger mon récit, répliqua Scales en riant, le maréchal, se trouvant serré de près, conçut le désir de maintenir ses communications avec la garnison, et, au moyen d’une petite digue, il parvint à introduire dans la place un renfort de fusiliers, ainsi qu’un supplément de poudre et de farine, deux articles dont les assiégés commençaient à être très à court. Le duc réussit dans ses plans : il essaya ensuite de fortifier la digue avec des fascines assujetties à une avenue de saules ; et cependant l’eau avait au moins quatre pieds de profondeur.

— Le diable emporte la digue ! s’écria Proddy, car j’ai beau écouter, je n’y comprends plus rien !

— Nous y voici, poursuivit Scales : derrière la digue, il y avait un sentier frayé par le bétail, où se trouvaient postées quatre compagnies de grenadiers français, et la brigade du roi placée là pour protéger les travaux. Chasser ces troupes et entraver les ouvriers, tel fut le but des efforts du duc. En conséquence, on consiruisit avec des fascines un sentier qui traversait le marécage submergé, et, pendant la nuit, six cents grenadiers anglais, soutenus par huit bataillons d’infanterie, tentèrent l’entreprise. Elle était hasardeuse, car nous eùmes à marcher pendant près d’un quart de mille, enfoncés dans l’eau jusqu’à la ceinture, et souvent même jusqu’aux épaules, tenant tout le temps au-dessus de nos têtes nos mousquets que nous voulions conserver secs. Nous avions déjà franchi sans encombre les deux tiers de la distance, lorsque le duc qui était avec nous, quoiqu’il eût eu récemment plusieurs accès de fièvre, commença à se sentir fatigué. Je le conjurai de monter sur mes épaules : il y consentit, et, fier de ce glorieux fardeau, je me précipitai en avant avec un redoublement d’ardeur. Il était impossible que notre approche ne fût pas signalé à l’ennemi ; aussi, dès que nous arrivâmes à portée de mousquet, nous essuyâmes une fusillade qui, grâce à l’obscurité, nous fit peu de mal. À vrai dire pourtant, une balle m’avait atteint au milieu de la poitrine ; mais je ne me plaignis point, décidé que j’étais à marcher tant que