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ABIGAÏL.


XX


Le sergent Scales quitte le service.


— Le sergent Scales, rappelé sur le théâtre de la guerre, en Flandre, était demeuré incorporé dans son régiment jusqu’à la fin de la campagne de 1711. Son absence s’était donc prolongée pendant près de deux ans. Mais, lors de l’automne qui précéda son retour, il reçut au siége de Bouchain une grave blessure, qui le mit dans l’impossibilité d’écrire à personne. Le vieux soldat n’avait pas, dans cet espace de trois mois, reçu de nouvelles de ceux qui l’intéressaient. Aussi des doutes cruels assiégèrent-ils son cœur à tel point qu’il se décida à aller trouver Proddy avant de se montrer à Marlborough-House.

Il se rendit donc au palais, s’informa du cocher, apprit qu’il était dans sa chambre, et monta l’y retrouver. Convaincu que sa venue allait causer une surprise extrêmement agréable au cocher, il entra dans la chambre, en ferma la porte, et fit le salut militaire à Proddy, qu’il aperçut assis devant une table, à demi assoupi, la pipe à la bouche et une cruche d’ale posée devant lui.

Le cocher leva les yeux et, apercevant cette apparition inattendue, laissa tomber sa pipe et recula sa chaise ; saisi d’étonnement et d’effroi, il contempla son ami, qui ne pouvait comprendre pourquoi les dents lui claquaient d’épouvante, et pourquoi ses yeux effarés étaient prêts à sortir de leur orbite.

« Comment donc, Proddy, ne me reconnaissez-vous pas ? s’écria Scales au comble de la surprise.

— Je vous ai connu jadis, sergent, balbutia Proddy ; mais, à l’avenir, je ne désire pas avoir de relation avec vous.

— Bah ! bah ! reprit Scales ; que vous arrive-t-il et que craignez-vous ? Vous allez d’abord venir avec moi.

— Oh ! non, je vous remercie ; je vous suis pourtant très-obligé, répliqua Proddy, qui s’éloignait tant qu’il pouvait du soldat.