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ABIGAÏL.

se soit montrée déloyale. Je le lui dirai en face, et l’univers le saura !

— Calmez-vous, reprit Mariborough ; votre colère est impuissante. Anne exige la remise de la clef dans le délai de deux jours.

— Elle l’aura dans deux minutes, s’écria la duchesse en l’arrachant de sa ceinture. Je vais la lui porter sur-lechamp.

— Mais, cependant… attendez… fit le duc.

— Je n’attendrai rien, interrompit la duchesse ; elle saura au moins que je la hais et que je la méprise. Quand je devrais on mourir, elle connaîtra mes véritables sentiments.

— Vous ne sortirez pas dans cet état, Sarah, s’écria Marlborough en retenant sa femme. Attendez que vous soyez plus calme ; votre violence vous entraînerait trop loin.

— Est-ce que vous vous unissez à mes ennemis, milord ? vociféra la duchesse hors d’elle. Laissez-moi aller, vous dis-je ; je ne veux pas être contrariée ; si je ne donne pas un libre cours à mon indignation, la colère va m’étouffer.

— Partez donc ! » dit le duc en la laissant aller.

Tandis que sa femme se précipitait hors de la chambre, il se laissa tomber sur un sofa en murmurant : « Il n’y a pas au monde de gloire capable de dorer une existence assombrie par des tempêtes pareilles à celle-ci ! »

La duchesse arriva au palais, toujours en proie à la plus furieuse colère, et, malgré tous les obstacles, elle entra de force dans l’antichambre du cabinet de la reine. Celle-ci, qui s’y trouvait par hasard, n’eut que le temps de se retirer précipitamment une seconde avant l’apparition de la duchesse, qui rencontra mistress Masham seule, et en proie à une inquiétude mal déguisée.

« Où est la reine ? s’écria la duchesse.

— Vous voyez, madame, qu’elle n’est point ici, répondit mistress Masham ; mais je dois vous demander en son nom l’explication de cette étrange et inexcusable importunité.

— Ainsi donc, c’est vous qui représentez la reine ! s’écria la duchesse. Il faut convenir que Sa Majesté la reine d’Angleterre est fort bien représentée. Mais je ne discuterai point avec vous. Je désire entrer dans le cabinet de la reine pour lui parler.