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ABIGAÏL.

sécurité est souvent dangereuse. Tallard a perdu la bataille de Blenheim par excès de confiance, et je dois à l’orgueil de Villeroy la victoire de Ramillies. Être trop confiant, c’est donner mille avantages à un ennemi qui triomphe de vous au moment où vous songez le moins au danger. Il est vrai que jusqu’à présent la reine s’est soumise en toutes choses à votre empire, mais ses conseillers peuvent en un jour tourner votre omnipotence contre vous-même ; je suis, dans un sens, un jésuite si achevé, que si j’étais sûr que le but que je me propose est noble et juste, je serais peu scrupuleux quant aux moyens que j’emploierais pour réussir. Il faut donc, croyez-moi, faire quelques concessions à la reine, il est urgent d’apporter quelques changements dans votre conduite avec elle ; sinon, je le crains, vous perdrez ses bonnes grâces.

— Je les perdrai s’il le faut, dit froidement la duchesse ; mais je ne les conserverai pas en imitant ces lâches esclaves, ces favorites, qui ramperaient pour obtenir un sourire. On ne dira jamais que Sarah de Marlborough a suivi les traces serviles d’Abigaïl Hill. Je m’étonne seulement que mon noble époux puisse me conseillér parellle chose.

— Je ne conseille aucune bassesse, reprit le duc un peu offensé ; mais il y a une différence à établir entre la fermeté et l’arrogance. Il n’est pas dans la nature humaine, encore moins dans la nature d’ane personne d’un rang aussi élevé, de supporter an joug comme celui dont vous accablez notre reine.

— Contentez-vous de régner dans les camps, milord, répliqua la duchesse, et laissez-moi gouverner la reine. J’ai réussi jusqu’à ce jour.

— Mais vous êtes à la veille d’une défaite, s’écria le duc ; je vous en avertis, madame !

— Votre Grâce est aussi pétulante que sa Majesté, répondit la duchesse avec un accent railleur.

— Et j’ai autant de raison qu’elle de l’être, riposta le duc en se levant pour se promener dans l’appartement.

— J’ai été pour vous, milord, une compagne fidèle et affectionnée ; j’ai été pour la reine une amie tendre et fidèle et une servante dévouée, répliqua la duchesse ; je ne saurais maintenant changer de conduite pour plaire à tous les deux.

— Vous nous gouvernez l’un et l’autre avec une verge de