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ABIGAÏL.

— Je veux faire un dernier appel à votre cœur, madame, dit la duchesse dès qu’elle put se rendre maîtresse d’elle-même. Au nom de tout ce qui est raisonnable et juste, je vous supplie de me répondre : ne vous ai-je pas servie fidèlement au mépris de mes propres intérêts ? Ai-je jamais pratiqué l’imposture ? Ai-je jamais employé l’hypocrisie vis-à-vis de vous ? Vous ai-je jamais offensée autrement que par excès de zèle, par un sentiment de hauteur, de violence même, et, si vous le voulez, par mon arrogance ? S’il en est ainsi, s’il est impossible de le nier, je dois être crue quand je proteste que mes ennemis m’ont calomniée en mon absence. Ne soyez pas sourde à mes instances, madame, et dites-moi ce dont on m’accuse. Répondez ! ah ! répondez !

— Vous me forcez à répéter les mêmes paroles, reprit la reine ; vous n’aurez aucune réponse |

— Refuser de m’entendre, ceci est un déni de justice, madame, s’écria la duchesse qui perdit patience. Vous devez justice exacte au plus infime de vos sujets ; vous vous devez à vous-même de parler !

— Que je sois injuste ou équitable, reprit la reine, vous n’aurez aucune réponse, et notre conférence est terminée.

— Fort bien ! répondit la duchesse en reprenant son ton orgueilleux. Je vous ai sincèrement aimée, madame, bien sincèrement, parce que je me croyais payée de retour ; mais, puisque vous m’avez à jamais repoussée, j’arracherai de mon cœur jusqu’à la dernière parcelle d’affection et d’estime. Si vous n’avez été qu’un instrument docile dans ma main, ainsi que beaucoup le prétendent, au moins je me suis servie de vous pour un noble usage. Telle ne sera pas la conduite de celle qui vous gouverne aujourd’hui ; elle vous déshonorera, et le reste de votre règne sera aussi insignifiant que le commencement en a été glorieux et triomphant. Que mes paroles se gravent dans votre mémoire. Adieu pour toujours, madame. »

Et, sans saluer la reine ni ajouter un mot de plus, la duchesse de Mariborough quitta l’appartement.

Aussitôt qu’elle fut sortie, mistress Masham se montra.

« Votre Majesté a admirablement joué son rôle, s’écria-t-elle. je ne lui aurais jamais cru le courage d’avoir tant de fermeté,