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ABIGAÏL.

— Refusez de la voir, répondit mistress Masham. Mais si elle vient malgré votre défense, ce qu’elle ne manquera certes pas de faire, alors prenez-la au mot, et n’accordez aucune réponse à son explication, laquelle, n’en doutez pas, sera bien plus une attaque dirigée contre les serviteurs actuels de la reine que la justification de ses propres actes.

— Vous avez raison, Abigaïl, répliqua la reine ; je suivrai votre conseil. »

Les conjectures de mistress Masham se réalisèrent ; car le même soir, sans attendre le bon plaisir de la reine, la duchesse se rendit au palais de Saint-James, et, montant l’escalier dérobé qui aboutissait à la porte dont elle avait consorvé la clef, elle allait l’ouvrir, lorsque sur le palier elle fut arrêtée par un page.

« Eh quoi ! ne me reconnaissez-vous point, monsieur ? s’écria-t-elle impérieusement.

— Parfaitement, Votre Grâce, répondit le page en s’inclinant avec respect ; mais j’ai la consigne de ne laisser pénétrer personne par cette porte sans la permission spéciale de Sa Majesté.

— Et votre consigne a trait surtout à la duchesse de Mariborough, n’est-ce pas, monsieur ?

— Je ne puis contredire Votre Grâce, répliqua le page.

— Voulez-vous avoir l’obligeance, monsieur, d’annoncer à la reine que je suis ici et que je réclame la faveur d’une audience de quelques minutes, de quelques minutes seulement ? reprit la duchesse.

— Je m’expose peut-être au déplaisir de Sa Majesté, repartit le page ; mais, pour complaire à Votre Grâce, je me risque.

— La reine est-elle seule ? demanda la duchesse.

— Je crois que mistress Masham est auprès d’elle, répondit le page ; Sa Majesté vient de sortir de table à l’instant.

— Toujours mistress Masham ! s’écria la duchesse. N’importe ! mon ami, faites ma commission, je vous prie ! »

Une demi-heure environ s’écoula avant le retour du page, et pendant tout ce temps la duchesse resta sur le palier. Le jeune homme lui fit ses excuses pour ce retard indépendant de sa volonté, et la pria de le suivre.

« Vous êtes resté longtemps, et l’on a eu tout le loisir nécessaire pour convenir de ce qui va m’être dit, monsieur, observa la duchesse.