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ABIGAÏL.

— Ceci est faux, duchesse ! répondit mistress Masham. Sa Majesté, après la lettre insolente que vous avez osé lui écrire, n’a consenti à vous recevoir qu’à mon intercession.

— Votre intercession, pécore ! s’écria la duchesse en s’avançant vers la jeune femme, et en lui saisissant le bras avec violence. En suis-je donc arrivée là, et auis-je en effet tombée si bas, que vous, une créature que j’ai tirée de l’abjection et de la pauvreté, vous veniez me dire que vous avez intercédé pour moi auprès de la reine ?

— Duchesse ! s’écria la reine avec mécontentement.

— Vous saurez plus tard, madame, à quoi vous en tenir sur son compte, reprit la duchesse ; vous apprendrez à connaître celle à qui vous vous êtes fiée ; la meilleure preuve de l’inquiétude qu’elle éprouve, c’est qu’elle n’ose pas me laisser causer tête à tête avec vous.

— Je voudrais épargner une scène à Sa Majesté ; c’est là le seul motif qui m’ait engagé à m’opposer à cette entrevue, répondit mistress Masham.

— Vous avouez donc que vous contrôlez les actions de Sa Majesté, petite sotte ! s’écria amèrement la duchesse. Ah ! c’est donc vous qui gouvernez ici !

— Toutes les fois que la reine daigne me consulter, je lui donne consciencieusement mon avis, observa mistress Masham.

— Et ce sont de pernicieux avis, fit la duchesse exaspérés ; car vous avez assez de méchanceté pour nuire au lieu de servir, serpent dangereux que vous êtes !

— Pour mettre fin à cette altercation, duchesse, interrompit Anne avec dignité, je vous accorderai une dernière entrevue ; présentez-vous donc ce soir à six heures à ma réception.

— Je remercie Votre Majesté, repartit la duchesse, avec d’autant plus de sincérité qu’elle m’accorde cette faveur contrairement aux désirs positivement exprimés par mistress Masham. Oh ! ma reine, vous vous repentirez de vos bontés pour elle !

— Sa Majesté ne pourra jamais regretter les faveurs dont elle m’honore, aussi amèrement qu’elle regrette celles dont elle vous a comblée, duchesse, reprit mistress Masham ; car vous les avez payées, madame, par la plus noire ingratitude.

— C’est à Sa Majesté à juger ma conduite, et non à vous, s’écria fièrement la duchesse. Je me justifierai devant elle, et