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ABIGAÏL.

— Je suis votre ami, monseigneur, n’en doutez pas, répliqua le valet.

— Eh bien ! je veux bien encore une fois me fier à toi, dit Guiscard, changeant de ton ; j’ai quelque chose à te dire. Approche-toi, que je te parle à l’oreille.

— Vous pouvez avoir toute confiance, » observa Bimbelot, qui fit un signe au porte-clefs, tout en s’approchant du prisonnier.

Mais, aussitôt qu’il se trouva à la portée de Guiscard, celui-ci le saisit par le cou, l’attira sur le lit, et l’aurait étranglé bel et bien, si le guichetier n’était pas accouru au secours du pauvre diable.

Tandis qu’on l’entraînait plus mort que vif hors du cachot, le marquis fit entendre un rire de démon.

L’agitation dans laquelle il s’était mis lui fot fatale, car, peu après la scène que nous venons de raconter, le délire le prit ; il proféra d’horribles blasphèmes et d’ignobles imprécations, sans chercher à cacher la profonde terreur qu’il éprouvait en présence de la mort ignominieuse à laquelle il se croyait destiné. Il entourait son cou de ses mains, comme s’il voulait le protéger contre le contact du bourreau.

Vers le soir du même jour, lorsqu’il parut un peu plus calme, on essaya d’obtenir de lui quelques aveux ; mais il était si oppressé, grâce à la masse de sang extravasé qui remplissait sa poitrine, que non-seulement il lui fut impossible de parler, mais qu’il pouvait à peine respirer. Ses blessures étaient même devenues si douloureuses, que le chirurgien dut faire certaines opérations dans le but de le soulager. Malgré tous ces soins, Guiscard languit, au milieu d’horribles souffrances, jusqu’au milieu de la nuit du lendemain, et expira vers l’aube.

Les restes de ce misérable furent ensuite confiés aux chirurgiens qui avaient reçu l’ordre de conserver son corps. On plaça le cadavre dans un cercueil de bois de sapin, et les geûliers le firent voir pour de l’argent à tous ceux qui se montrèrent amateurs de ce hideux spectacle. Cette triste dépouille fut ensuite enterrée sans cérémonie, dans le cimetière destiné aux malfaiteurs qui meurent à Newgate.

Telle fut la fin déplorable du joyeux et charmant marquis de Guiscard, de ce dandy admiré et recherché par tous ses contemporains : la mort d’un criminel, moins la pendaison.