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ABIGAÏL.

jesté. Je lui disais que je regrettais de voir à la reine un mauvais visage, et il m’a répondu que c’était sa propre faute, parce qu’elle veillait trop tard.

— Vous a-t-il dit avec qui ? demanda la duchesse.

— Non, répondit le duc ; et, suivant l’usage d’un joueur ignorant qui veut réparer ses fautes, il s’est embrouillé de plus en plus à chaque parole nouvelle : j’ajouterai même qu’il m’a été impossible de savoir qui partage avec lui les veilles de la reine.

— Alors moi je vais vous le dire, répliqua la duchesse ; c’est notre cousine Abigaïl Hill.

— Comment, cette femme de chambre ? s’écria le duc ; oh ! dans ce cas, cela ne signifie pas grand’chose.

— Cela signifie plus que Votre Grâce ne l’imagine, répliqua la duchesse ; et si, lorsque j’ai placé Abigaïl près de la reine, j’avais su d’elle ce que je sais aujourd’hui, jamais je ne l’eusse mise en position de me nuire. Qui eût pensé qu’une créature si simple en apparence pût jouer son rôle avec tant de finesse ? Mais la friponne a découvert le côté faible de sa maîtresse, et en voyant à quel point notre souveraine est l’esclave de ceux qui feignent de l’aimer, elle s’abaisse aux flagorneries les plus serviles, et vante son esprit et son intelligence. Son esprit et son intelligence, juste ciel ! En un mot, Abigaïl a eu recours aux artifices les plus bas pour gagner la confiance de la reine.

— Si elle l’a gagnée, vous ne sauriez l’en blâmer, répliqua le duc, et je ne puis m’empêcher de vous dire, madame, que, si vous vous appliquiez davantage à étudier le caractère et les manies de la reine, cela n’en vaudrait que mieux.

— Je suis surprise d’entendre Votre Grâce parler ainsi, reprit la duchesse en se contraignant ; voudriez-vous que je sacrifiasse ma manière de voir à une personne à laquelle j’ai été de tout temps habituée à l’imposer ? Devrais-je approuver ce que je blâme ? devrais-je faire des courbettes, des protestations, des mensonges, enfin copier les allures de cette vile créature ? Voudriez-vous me voir me plier à des enfantillages, à des plaintes puériles, à des caprices, à des fantaisies ? Consentiriez-vous à me voir encore affecter des sympathies que je n’éprouve pas ? Ou faudrait-il aussi demander ce que je puis prendre, me prosterner au lieu de m’asseoir, obéir au lieu de commander ?