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ABIGAÏL.

une audience de la reine, afin de lui exposer ses griefs, mais il ne put y réassir.

Heureusement pour lui, son crédit se trouvait un pou rétabli, et il osa se montrer en public. Il loua une maison dans RyderStreet, et recommença à fréquenter les cafés comme auparavant, il continua même à jouer, mais avec réserve, et souvent même il gagna de petites sommes. Ces gains enhardirent l’aventurier, il risqua de plus gros enjeux ; mais par malheur, certaine nuit, une mauvaise veine soutenue lui fit perdre tout ce qu’il possédait.

Dans son désespoir, le marquis eut recours à Saint-John, que son aventure émut de pitié, car il avait du penchant pour les gens du caractère du marquis. Il lui donna encore de sa bourse une somme suffisante pour subvenir a ses plus pressants besoins, lui recommandant, toutefois, d’en user prudemment. Loin de suivre ce sage avis, Guiscard, le même jour, poussé à sa perte par la fatalité, hasarda cet argent au pharaon, et perdit tout ce qu’il avait dans ses poches.

Le marquis, oublieux de tout sentiment de tact et de bienséance, osa s’adresser encore à Saint-John ; mais, cette fois, il éprouva un refus formel, et à partir de ce moment, il ne fut plus jamais reçu par le secrétaire d’État.

Réduit aux expédients les plus désespérés, le malheureux ne vécut que de sommes modiques qu’il empruntait, car il avait touché d’avance la première année de sa pension, et il souffrait souvent de la misère. Logé à Maggot’s-Court, impasse obscure conduisant à Little-Swallow-Street, il occupait là une seule chambre misérablement meublée : sa toilette était pourtant toujours convenable, et il fréquentait avec persévérance les abords du palais, dans l’espoir d’apprendre quelques nouvelles.

Bimbelot avait depuis longtemps quitté son service, mais il lui rendait souvent visite, sous prétexte de lui être utile, tandis qu’en réalité son vrai but était de se tenir au courant de la correspondance qu’il entretenait avec la France. Tout en avouant ce fait, le marquis était néanmoins trop prudent pour admettre son ancien valet de chambre dans sa confidence : cependant, un beau jour, surpris par ce dernier, tandis qu’il était occupé à cacheter un paquet, il lui dit, comme s’il lui était impossible de garder un secret :