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ABIGAÏL.

rablé m’a volé, il ne vivra pas assez longtemps pour jouir de mes dépouilles. »

Et, poussant un rire sauvage, le marquis se rassit et cessa de parler. À vrai dire, ses pensées étaient trop lugubres pour qu’il pût rester longtemps tranquille. Il se leva donc une seconde fois.

« Il faut tenter quelque chose ! s’écria-t-il d’une voix rauque : mais quoi, quoi ?… Demain, les débris de ma fortune seront saisis, et Salomon me fera jeter en prison. Ah ! si je fuyais ! j’ai la nuit entière devant moi. Hélas ! pour fuir il faut en avoir les moyens ; et comment me les procurer ? N’y a-t-il rien ici que je puisse emporter ? Mes tableaux ont disparu avec mon argenterie et tout ce qui avait de la valeur. Ah ! il me reste encore les bijoux que Saint-John avait donnés à Angelica ! Elle les a. Ces bijoux me sauveront. Le collier seul à coûté trois cents guinées. En supposant que je n’en retire que le tiers de la somme, cela me suffira pour vivre jusqu’à ce que la veine me favorise encore ; et puis, je recevrai de l’argent de France. Ah ! ah ! je ne suis pas encore tout à fait perdu. Je disparaîtrai pendant quelque temps, pour reparaître ensuite avec plus de splendeur. »

S’abandonnant à ces espérances, le marquis s’approcha d’une armoire placée auprès du lit ; il en ouvrit la porte, en tira un écrin qui n’était point fermé. Cet écrin était vide !

« Les bijoux n’y sont plus ! Elle m’a volé ! s’écria-t-il. Que la peste étouffe la carogne ! Mon dernier espoir est donc anéanti ! »

Transporté de rage et de désespoir, le marquis perdit la tête ; il s’empara d’un pistolet appendu près du lit, le posa près de sa tempe et se disposait à lâcher la détente, lorsque Bimbelot, qui était aux aguets depuis plusieurs minutes, s’élança vers lui et le conjura de ne point se tuer.

« Je sais bien que vous êtes ruiné, monseigneur, s’écria le valet, mais votre mort ne raccommoders rien.

— Animal ! s’écria le marquis furieux ; sans ta stupide intervention, tous mes ennuis seraient terminés. Pourquoi vivrais-je ?

— Pour nourrir l’espoir de voir luire de meilleurs jours, reprit Bimbelot ; la fortune peut encore vous sourire.

— Non, non, la cruelle m’a pour toujours abandonné, s’écria