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ABIGAÏL.

aisance mettait les autres à leur aise. Sa taille était haute et bien prise ; on citait la beauté de ses formes et la noblesse de ses traits, et il était impossible de le contempler sans admiration. Et cependant le duc n’était plus jeune ; il avait éprouvé des fatigues excessives et de toute nature, il avait été tourmenté de mille façons, et pendant de longues années n’avait pris que de très-courts repos à de rares intervalles. En dépit de tout cela, pourtant, Marlborough était étonnamment bien conservé, et, quoiqu’il ne fût plus le bel adolescent qui avait captivé la duchesse de Cleveland du temps du roi Charles II, il pouvait passer encore pour un type de mâle beauté ; il portait son uniforme de général, lequel était chamarré de décorations. L’une d’entre elles, le Georges, était une sardoine entourée de diamants d’une immense valeur. Le duc ne paraissait pas être en aussi belle humeur que la duchesse ; bien au contraire, il semblait être pensif, et il suivit sa femme lentement et d’un air distrait jusqu’au sofa, où ils s’assirent tous les deux.

« Qu’arrive-t-il à Votre Grâce ? s’écria la duchesse en se laissant tomber sur le meuble somptueux. On croirait pourtant que les acclamations qui vous ont accueilli en sortant du palais devraient vous rendre gai ; les cris assourdissants de : « Dieu sauve la reine et le duc de Marlborough ! » peuvent presque encore s’entendre d’ici, et je présume qu’ils sont parvenus jusqu’aux oreilles d’Anne elle-même. Pour moi, la plus douce musique consiste dans les applaudissements du peuple, et la vue la plus récréante est celle des visages radieux de la populace lorsqu’elle agite ses chapeaux. Mais je vois que tout cela est sans charme pour vous aujourd’hui ; la force de l’habitude vous a blasé.

— Les louanges populaires peuvent, il est vrai, ne plus m’émouvoir, répliqua le duc avec affection ; mais le jour où je serai insensible à votre amour, ma bien-aimée, est encore bien éloigné. Je suis excédé de tout ce tumulte et j’aurais désiré revenir du palais incognito.

— Tout est pour le mieux, fit la duchesse, car vous ne sauriez vous montrer assez. Avez-vous été contrarié par quelque chose dans les appartements du palais ? Il m’a paru que vous aviez l’air sérieux chez la reine.

— Eh bien ! je dois vous avouer que j’ai été tracassé par quelques mots qui sont échappés au prince au sujet de Sa Ma-