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ABIGAÏL.

remarqua le premier, si mons Satan voulait l’acheter ; mais retournons auprès du major, il s’agit de lui porter secours. » Dès que le marquis de Guiscard, car c’était lui, s’aperçut que la poursuite avait cessé, il s’avança hors de la petite ruelle près de Hay-Market, où il s’était abrité, et, sortant de sa cachette, il retourna chez lui à pas lents ; sa démarche était chancelante comme celle d’un homme ivre, et il proférait de temps à autre un blasphème tout en se frappant le front à poing fermé.

Quand il arriva chez lui, Bimbelot, qui lui ouvrit la porte, fut épouvanté des regards farouches de son maître, qui arracha un flambeau des mains du valet terrifié, s’élança sur l’escalier, entra dans sa chambre, et, revenant presque aussitôt sur le carré, l’appela d’une voix élevée et colère :

« Bimbelot ! où est ta maîtresse, animal ? Est-elle rentrée ?

— Non, monseisneur, répondit le valet. Madame est allée au bal masqué, et vous savez, monsieur le marquis, que le bal finit ordinairement vers quatre ou cinq heures du matin. »

Le marquis poussa une exclamation de fureur, rentra dans sa chambre, et, se jetant sur une chaise, ensevelit son visage dans ses mains. Il demeura ainsi pendant assez longtemps, plongé dans les réflexions les plus amères.

À la fin, il se leva et arpenta l’appartement avec agitation, en se parlant à lui-même.

« La honte et la misère m’attendent. Que vais-je faire ? disait-il. Sot ! insensé que je suis, d’avoir risqué tout ce que j’avais au monde avec des aigrefins ! Ces drôles m’ont plumé ; et demain, ma maison et tout ce qu’elle contient sera saisie par l’impitoyable juif Salomon, qui me traque comme une bête fauve. La suppression de la pension de cent ducats par mois que je reçois des États de Hollande, le licenciement de mon régiment, et par conséquent la perte de ma paye, les folles dépenses de cette femme que j’ai eu la sottise d’épouser pour l’appât de mille guinées que sir Harley m’a comptées et dont elle a depuis trois fois dissipé le montant, l’insuccès de tous mes plans, la mort de mon ami dévoué, le comte de Briançon : toutes ces calamités m’ont réduit dans un tel état, que j’ai commis la folie de risquer le reste de ma fortune sur un dernier coup de dé ; et maintenant, j’ai tout perdu. Quelle absurdité d’avoir joué avec un escroc ! En tout cas, si le misé-