Page:Ainsworth - Abigail ou la Cour de la Reine Anne (1859).pdf/318

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
312
ABIGAÏL.

mécontent d’obéir, se sentant maître du parti jacobite et du parti tory, résolut de ne plus occuper un poste subordonné dans le cabinet, et il signifia nettement cette résolution à mistress Masham, à laquelle il rendait en secret des soins assidus.

Comme on le voit, Harley se trouvait menacé de ne point atteindre le but qu’il avait si ardemment désiré, lorsqu’un événement, qui en apparence le mit dans le plus grand péril, devint la cheville ouvrière de l’accomplissement de ses désirs. Pour expliquer convenablement ce qui se passa, il est nécessaire de retourner un peu en arrière.

Certaine nuit, environ six mois après le jugement de Sacheverell, un homme sortit précipitamment de Little-Man’s Coffee-House, lieu reconnu pour être un repaire de filous. Il tenait un sabre à la main, et se dirigea comme un furieux vers Pall-Mall ; une demi-douzaine d’individus, armés comme lui, le poursuivirent jusqu’à Hay-Market, mais arrivés là ils le perdirent de vue, et, après avoir attendu quelques minutes, rebroussèrent chemin.

— Bah ! laissons-le aller, dit l’un de ces hommes aux autres : nous savons bien où le retrouver. Si les blessures du major sont mortelles…

— Le major lui a gagné plus de cinq mille guinées, observa un autre. Ainsi, s’il a attrapé quelque mauvais coup, il a les moyens d’acheter des remèdes pour guérir ses plaies.

— Il a joué carreau tout le temps. Il est facile de voir que le major vole au jeu, remarqua en riant un troisième. Du reste, le marquis a fait sauter la coupe, il a triché et dirigé le dé à chaque coup ; il eût donc eu mauvaise grâce, en conscience, de s’offenser que le major se servit d’un dé pipé.

— Tout cela ne serait rien si le marquis avait un bon caractère, fit un quatrième ; mais, dès qu’il perd, il met l’épée à la main, et le major n’est pas le seul qu’il ait traité en ennemi.

— Dieu nous garde du marquis ! reprit le premier ; je suppose que pour cette fois nous en sommes débarrassés : il est positivement ruiné.

— Bah ! c’est un drôle si habile que je ne serais nullement étonné qu’il trouvât un nouveau moyen de conjurer la destinée, dit un troisième.

— Il se vendrait au diable pour cela, bien certainement,